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Le média de la CFJ72 à Barcelone

Comment le gouvernement catalan marginalise l’usage de l’espagnol

Depuis 2005, il est pos­sible de rece­voir une amende pour avoir refu­sé de par­ler cata­lan en Catalogne. Dénonciations ano­nymes, pres­sions poli­tiques, la Généralitat semble avoir pris toutes les dis­po­si­tions néces­saires pour faire recu­ler l’usage de l’espagnol dans la région. 

Écrit par Romane Ganneval Enquête de Romane Ganneval et Camila Giudice, à Barcelone
Publié le 2 mars 201815 mars 2018
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Ce matin de février, un jeune couple avec un vélo pliable entre dans l’Agence de consom­ma­tion de Barcelone, située dans le bâti­ment du minis­tère régio­nal de l’Energie. Ils pré­sentent leurs cartes d’i­den­ti­té, prennent un ticket, rem­plissent un for­mu­laire et attendent leur tour sur une chaise en plas­tique devant quatre gui­chets. Ces jeunes gens sont venus signa­ler qu’une suc­cur­sale de l’of­fice du tou­risme de la ville a refu­sé… de leur par­ler cata­lan. Devant une bri­gade de secré­taires équi­pées d’oreillettes ultra-modernes char­gées de recueillir les doléances, d’autres plai­gnants vien­dront plus tard dénon­cer eux aus­si des com­mer­çants, des hôte­liers, des res­tau­ra­teurs, qui contre­viennent aux lois lin­guis­tiques de la région. En par­lant espa­gnol en Espagne.

Elaborées par la Generalitat, le gou­ver­ne­ment régio­nal, ces lois obligent, depuis 2005, les com­mer­çants de Catalogne à accueillir leurs clients en leur par­lant en cata­lan. Selon l’exécutif local, chaque Catalan a le droit fon­da­men­tal de ne par­ler que sa langue. Pour s’as­su­rer de l’ap­pli­ca­tion de ce règle­ment, des bureaux de « garan­ties lin­guis­tiques » ont été créés la même année à Barcelone, Gérone, Tarragone, Lérida et Tortosa. Leur rôle ? Recueillir et trans­mettre les doléances aux agences de la consom­ma­tion. Un Catalan qui estime que son droit n’a pas été res­pec­té peut venir dans une agence de consom­ma­tion, comme le couple au vélo, ou bien dépo­ser une plainte en ligne. Le gou­ver­ne­ment régio­nal a une poli­tique trans­pa­rente, struc­tu­rée, qui vise à mar­gi­na­li­ser l’u­sage de l’es­pa­gnol sur le ter­ri­toire de la région autonome. 

Cheveux bou­clés, lunettes et pull à paillettes, une res­pon­sable qui pré­fère res­ter ano­nyme explique le fonc­tion­ne­ment de son agence : « Ici, nous recueillons toutes les plaintes et nous man­da­tons des ins­pec­teurs en civil véri­fier la situa­tion sur le ter­rain. Si le man­que­ment aux lois lin­guis­tiques est avé­ré, nous envoyons un cour­rier dans lequel nous deman­dons à l’entreprise de se mettre en règle dans les trois mois et nous véri­fions que cela a bien été fait. S’ils n’ont pas pris les bonnes dis­po­si­tions, l’entreprise devra payer une amende qui peut aller jusqu’à 1 800 euros. Et bien sûr, toutes les plaintes res­tent ano­nymes. » En 2015, l’agence de Barcelone a dépê­ché 973 fois ses ins­pec­teurs sur le ter­rain pour 502 infrac­tions véri­fiées. Au total, les frau­deurs ont dû ver­ser 51 600 euros à la “police lin­guis­tique” de Barcelone.

La dis­cri­mi­na­tion posi­tive en faveur du cata­lan est orga­ni­sée par les natio­na­listes cata­lans. En 2009, Santiago Espot, pré­sident de l’association indé­pen­dan­tiste Catalunya Acció (Action pour la Catalogne) recon­naît publi­que­ment avoir dépo­sé 3 000 plaintes ano­nymes contre des com­mer­çants qui n’utilisaient pas le cata­lan. Invité à débattre sur des pla­teaux de télé­vi­sion, applau­di lors de mee­tings en Catalogne, l’homme d’affaires a été vive­ment encou­ra­gé par les par­ti­sans de l’indépendance de la région.

Barcelone, 20 février 2018. Depuis sep­tembre 2017, les super­mar­chés Consum ont ces­sé d’utiliser le cata­lan dans l’étiquetage des pro­duits fabri­qués sous leur marque Consum Eco. Les super­mar­chés ont été boy­cot­tés par les indé­pen­dan­tistes. ©Romane Ganneval

Les citoyens catalans engagés dans la protection de leur langue régionale

L’année sui­vante, la mise en place des bureaux de “garan­tie lin­guis­tique” sus­cite une vive polé­mique dans l’opinion publique. Pour les unio­nistes, l’ad­mi­nis­tra­tion régio­nale serait en train d’ins­ti­tu­tion­na­li­ser un sys­tème fon­dé sur la déla­tion. « La déla­tion, ce serait un com­mer­çant qui dénon­ce­rait son voi­sin, conteste l’avocat Josep Anton Lopez Alvarez, spé­cia­liste du droit cata­lan et cas­tillan. Là, ce sont des citoyens qui demandent qu’on res­pecte leur droit. D’ailleurs, le sta­tut offi­ciel de la région auto­nome est clair à ce sujet : la langue propre de la Catalogne, c’est le catalan. »

Enquête du Bureau des « garan­ties lin­guis­tiques » sur la langue cata­lane dans le com­merce à Barcelone en 2016.

Les Catalans ont le droit d’utiliser le cata­lan et ils ont aus­si le devoir de par­ler le cas­tillan. L’article 3 de la Constitution espa­gnole sti­pule que « le cas­tillan est la langue offi­cielle de l’État » et que, en tant que langue offi­cielle, « tous les Espagnols ont le devoir de la connaître et le droit de l’employer. » En Catalogne, les citoyens doivent pou­voir choi­sir entre l’emploi du cata­lan et du castillan. 

Toutefois, l’avocat, qui a soi­gneu­se­ment accro­ché à sa veste de cos­tume un écus­son en forme de ruban jaune (signe de ral­lie­ment por­té par les indé­pen­dan­tistes), recon­naît que les posi­tions se sont radi­ca­li­sées. « Autrefois, on entrait dans une bou­tique, on essayait de par­ler cata­lan mais si on nous répon­dait en cas­tillan, on chan­geait de langue. On se disait  que ce n’était pas grave, puisqu’on parle les deux langues. Depuis quelques mois, les Catalans ne veulent plus bais­ser les yeux. »

Les Catalans ne baissent plus les yeux et ceux qui ne parlent pas la langue régio­nale sont invi­tés à s’a­dap­ter. Dans le quar­tier de l’Université de Barcelone, Edouardo, un migrant cubain ins­tal­lé ici depuis vingt ans, a dû chan­ger le nom de sa bou­tique de cos­mé­tiques l’année der­nière : « J’ai reçu un aver­tis­se­ment oral, ce n’était pas bien méchant. Mais disons qu’on te fait vite com­prendre que tu n’as pas le choix. »  Cosmé­ti­cos Orgánicos  est deve­nu Cosmètics Orgànics. 

Etude réa­li­sée par la Généralitat en 2015.
Ernesto Lopez Vallet ©docu­ment remis

« Le pro­blème, c’est que le droit lin­guis­tique ne s’applique pas aux maga­sins qui uti­lisent l’anglais, par exemple, s’indigne Ernesto Lopez Vallet, jeune enca­drant de la Societat civil cata­la­na (Société civile cata­lane), une asso­cia­tion oppo­sée à l’indépendance. Seules les bou­tiques qui uti­lisent le cas­tillan sont visées. Comme si on cher­chait à nous divi­ser entre his­pa­no­phones. » Issu d’une famille 100 % cata­lane, cet étu­diant en droit et en poli­tique déplore le dur­cis­se­ment en cours : « Je ne dirais pas que le cli­mat est dic­ta­to­rial, c’est un mot trop violent, mais léga­le­ment, ces lois lin­guis­tiques posent un pro­blème parce que tous les citoyens sont cen­sés avoir le choix entre le cata­lan et le cas­tillan. »

« Les gamins font trois heures d’anglais par semaine et deux heures d’espagnol. »

Marita Rodriguez à Barcelone. ©Romane Ganneval

Ainsi va la vie à Barcelone en 2018. Devantures de res­tau­rants, signa­li­sa­tion rou­tière, annonces dans le métro, noms des rues : l’es­pa­gnol se mar­gi­na­lise et le cata­lan est par­tout. « Cela n’a pas tou­jours été le cas, rap­pelle Marita Rodriguez, qui a pré­si­dé pen­dant quinze ans l’Association pour la tolé­rance et milite à Barcelone pour la défense d’une socié­té cata­lane bilingue. Le cata­lan a été inter­dit en-dehors du cercle fami­lial durant les qua­rante années de la dic­ta­ture franquiste. »

À la mort du géné­ral Franco en 1975, seuls la moi­tié des Catalans com­pre­naient leur langue régio­nale et un tiers d’entre eux l’écrivaient (esti­ma­tion faite par la Generalitat). Les natio­na­listes au pou­voir entre 1980 et 2003, menés par Jordi Pujol, ont fait du retour du cata­lan une prio­ri­té. Pour cela, ils ont chan­gé la loi. Marita Rodriguez se sou­vient qu’au début, il s’agissait d’introduire quelques heures de cata­lan à l’école pri­maire. Il fal­lait sau­ve­gar­der cette richesse cultu­relle régio­nale. Dix ans plus tard, l’espagnol a presque dis­pa­ru des éta­blis­se­ments sco­laires publics : « Aujourd’hui, les gamins font trois heures d’anglais par semaine et deux heures d’espagnol. Le reste est en cata­lan. » En 2015, selon les chiffres offi­ciels de la Generalitat, 95 % des habi­tants de la Catalogne com­pre­naient le cata­lan, 80,5 % le par­laient et 50 % l’écrivaient. Pourtant, un tiers de la popu­la­tion cata­lane n’a pas gran­di dans la région.

Barcelone, 21 février 2018. Affiche de l’association cata­lane Plataforma per la llen­gua (Plateforme pour la langue) col­lée à Barcelone. Ce groupe demande que la langue régio­nale soit recon­nue en Europe et tou­jours plus uti­li­sée dans la jus­tice et à l’école. ©Romane Ganneval

Jusqu’où ira la langue cata­lane ? Pour le com­prendre, direc­tion le minis­tère régio­nal de la Culture, qui abrite le bureau des « garan­ties lin­guis­tiques » de la ville. Juché en plein cœur du quar­tier de Raval, à quelques pas des Ramblas, ce sanc­tuaire de la langue est pro­té­gé par des camé­ras de sur­veillance et des gardes. L’identité des visi­teurs y est contrô­lée. Les sacs sont fouillés. À l’accueil comme dans les étages, le cata­lan est de rigueur. La direc­trice géné­rale de la poli­tique lin­guis­tique de la région, Ester Franquesa, doit nous y accueillir pour un entre­tien. Depuis une semaine, les échanges se font en cata­lan, grâce à l’u­sage som­maire d’un tra­duc­teur en ligne. L’heure du rendez-vous est fixée, l’agenda fice­lé. Dernière requête avant la ren­contre tant atten­due : deman­der la per­mis­sion d’être accom­pa­gné d’un inter­prète. Cinq minutes plus tard, faute de tra­duc­teur dis­po­nible et faute d’ac­cord pour faire venir quelqu’un de l’extérieur, l’en­tre­tien est annu­lé, même si la direc­trice parle comme nous anglais et espagnol. 

Jusqu’à pré­sent, indé­pen­dan­tistes et unio­nistes étaient d’ac­cord sur un point : la Catalogne doit res­ter bilingue. La poli­tique lin­guis­tique menée par la Generalitat semble vou­loir bri­ser ce sta­tu quo. Au fond, à quoi servent ces lois, ces contrôles, ces amendes ? Pour Sònia Anglada i Campàs, l’as­sis­tante d’Ester Franquesa, qui s’ex­cuse pour le rendez-vous man­qué et nous rac­com­pagne à la sor­tie, la réponse sonne comme une évi­dence : « À terme, nous sou­hai­tons que l’espagnol dis­pa­raisse tota­le­ment. »

Photographie de une réa­li­sée par l’Association pour la tolé­rance en 1994, à Barcelone. 

Travail enca­dré par Jean-Baptiste Naudet, Fabien Palem, Cédric Rouquette et Cédric Molle-Laurençon.

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Rubrique : Des mots qui comptentMots-clés : langue, lois, commerce, consommation, Généralitat, indépendantisme, Catalanité, bilinguisme, castillan, catalan, économie, culture, barcelone, catalogne, Espagne, indépendance

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