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Le média de la CFJ72 à Barcelone

Associations catalanes : forger un peuple

La socié­té cata­lane est mar­quée par son très puis­sant tis­su asso­cia­tif. Lieux de trans­mis­sion d’identité, ces orga­ni­sa­tions citoyennes deviennent une force de mobi­li­sa­tion essen­tielle au mou­ve­ment indépendantiste. 

Écrit par Alice Raybaud Enquête de Alice Raybaud et Claire Leys, à Barcelone
Publié le 6 mars 201815 mars 2018
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Des dizaines de corps forment un cercle res­ser­ré. Bras ten­dus vers le ciel, regards atten­tifs. La colonne humaine gran­dit. Les vol­ti­geurs montent un à un, concen­trés, sur les épaules de leurs coéqui­piers. Les paroles s’interrompent. Pendant plu­sieurs secondes, cha­cun tient sa posi­tion, atten­dant le signal. Puis, comme un châ­teau de cartes au ralen­ti, la colonne s’affaisse. Le silence se rompt. Dans le gym­nase de Sants, quar­tier popu­laire de Barcelone, des cen­taines d’enfants, ado­les­cents et adultes reprennent leurs dis­cus­sions ani­mées et leurs acco­lades. Deux fois par semaine, ils se réunissent pour s’entraîner à mon­ter le plus haut des Castellers, d’impressionnants châ­teaux humains qui ponc­tuent les tra­di­tion­nelles mani­fes­ta­tions cata­lanes. Certains soirs, ils sont jusqu’à 400 par­ti­ci­pants, regrou­pés dans le gym­nase vert prê­té par une école du quartier.

Barcelone, 20 février 2018. Les Castells sont une tra­di­tion qui remonte au XVIIème siècle dans les pays cata­lans. ©Alice Raybaud

« Les col­las (groupes de Castells) sont uniques dans le monde, assure Alba, 30 ans, qui a com­men­cé ce sport petite, dans son vil­lage d’enfance. Ce sont des espaces de par­tage entre toutes les géné­ra­tions. » Ici, on croise autant des enfants de six ans que des pères de famille d’une cin­quan­taine d’années. « L’activité en elle-même véhi­cule des valeurs cata­lanes impor­tantes. Tu sais que, même si ta posi­tion n’est pas visible sur l’image finale de la pyra­mide, ton rôle est tout aus­si impor­tant pour le col­lec­tif, souffle-t-elle. Nous avons gran­di avec ce type de valeurs, et je pense que c’est essen­tiel pour un enfant ». Alba jette un coup d’oeil vers le Castellers qui, devant elle, gran­dit sous les ins­truc­tions du cap de col­la. « C’est à moi de mon­ter ! » Elle s’élance. Ses pieds agiles esca­ladent la pyra­mide de corps. Elle s’élève. Bientôt, sa che­mise orange appa­raît au milieu du châ­teau humain. Tout en haut, à sept mètres au des­sus du sol, se trouvent géné­ra­le­ment les enfants, par­fois à peine âgés de huit ans, une main éle­vée vers le ciel.

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Concours de Castells à Tarragone, ville de l’équipe qui remporte régulièrement le trophée. © La Xarxa de Comunicació Local

Les Castellers de Sants font par­tie des nom­breuses asso­cia­tions qui par­sèment le ter­ri­toire cata­lan. « L’associationnisme y est dix fois plus impor­tant que dans le reste de l’Espagne », selon Fabrice Corrons, cher­cheur spé­cia­li­sé dans la culture cata­lane. Ce fort tis­su social puise ses racines dans une iden­ti­té col­la­bo­ra­tive héri­tée du Moyen-Âge. Il est ren­for­cé dès le XIXème siècle par les popu­la­tions ouvrières venues d’autres régions de la Catalogne et par le fort cor­po­ra­tisme qu’elles développent. 

Aujourd’hui, l’associationnisme est deve­nu un réflexe et il est très habi­tuel pour les Catalans de don­ner de leur temps à une ini­tia­tive locale sitôt leur jour­née de tra­vail ter­mi­née.  Une force de mobi­li­sa­tion si effi­cace que les asso­cia­tions sont deve­nues essen­tielles pour le mou­ve­ment indé­pen­dan­tiste qui secoue la région.  Leader de la deuxième plus grosse asso­cia­tion de Catalogne, Assemblea nacio­nal cata­la­na (ANC, Assemblée natio­nale cata­lane), Jordi Sanchez a d’ailleurs été nom­mé par Carles Puigdemont pour lui suc­cé­der à la tête de la for­ma­tion poli­tique Junts per Catalunya (JxCat, Ensemble pour la Catalogne). Cet ex-président asso­cia­tif est pour­tant en déten­tion depuis octobre, accu­sé de sédi­tion et rébellion. 

Barcelone, 20 février 2018. Le record de hau­teur d’un Castellers cata­lan : 10 étages, soit 10 tonnes au-dessus des por­teurs. ©Alice Raybaud

Un réseau de soli­da­ri­té émaille la Catalogne, avec des pas­se­relles infor­melles mais solides entre toutes les asso­cia­tions. « J’ai connu les Castellers de Sants parce que je par­ti­ci­pais déjà à une autre asso­cia­tion », explique Nuria. Une acti­vi­té toute aus­si spec­ta­cu­laire que les châ­teaux humains. « Les “Diablas” ! lance cette créa­trice de conte­nu vidéo de 31 ans, enthou­siaste. Nous fai­sons des spec­tacles de feu dans la nuit au cours de mani­fes­ta­tions tra­di­tion­nelles. » Des amis ren­con­trés aux “Diablas” l’ont encou­ra­gée à prê­ter son éner­gie à la col­la de Sants. « J’y ai pris goût et je suis res­tée », poursuit-elle. Des asso­cia­tions de phi­la­té­lie aux clubs spor­tifs, en pas­sant par du par­tage de maté­riel ou encore par une aide aux réfu­giés, tous les sec­teurs de la socié­té sont pré­texte à l’as­so­cia­tion­nisme. De ce tis­su asso­cia­tif très res­ser­ré résulte une grande cir­cu­la­tion des infor­ma­tions et par­tage des initiatives.

« Défendre nos traditions, c’est défendre une vision politique »

Dans le gym­nase de Sants ce mar­di soir, les indé­pen­dan­tistes sont légion. Chacun a son avis sur le rêve d’une République cata­lane et sur­tout sur les empri­son­ne­ments des lea­ders poli­tiques de la région. Parmi eux,  deux cas scan­da­lisent : celui du pré­sident de l’ANC mais aus­si celui de Jordi Cuixart, lea­der d’Òmnium Cultural, la plus grosse asso­cia­tion  de Catalogne. Le 16 octobre der­nier, ils ont été arrê­tés pour avoir blo­qué la sor­tie d’un bâti­ment que la Guardia civil  per­qui­si­tion­nait. Alba, qui fait elle-même par­tie d’Òmnium, est caté­go­rique : « Je ne peux qu’être contre ces arres­ta­tions. Pour moi, c’est une ques­tion de liber­té et de démo­cra­tie… Et ces deux ques­tions sont bafouées. »

Si à l’instar de l’ANC et d’Òmnium, les Castellers de Sants ne sont offi­ciel­le­ment alliés à aucun par­ti poli­tique, ils se posi­tionnent en faveur de l’indépendance dans leurs per­for­mances. Des ban­de­roles avec les visages de ceux qu’ils appellent les « pri­son­niers poli­tiques » sont désor­mais agi­tées par les vol­ti­geurs lors des mani­fes­ta­tions tra­di­tion­nelles. Rien de plus nor­mal pour Lluis Gomez, le pré­sident de l’association : « Politique et culture sont tota­le­ment insé­pa­rables. Défendre nos tra­di­tions revient natu­rel­le­ment à défendre notre vision poli­tique de la Catalogne. » C’est ain­si qu’il assume ses liens avec les asso­cia­tions offi­ciel­le­ment indé­pen­dan­tistes : il est régu­liè­re­ment en contact avec le local d’Òmnium à Sants qui lui four­nit des dra­peaux et des ban­de­roles. Il le concède, leur posi­tion­ne­ment poli­tique dis­suade de plus en plus les non-indépendantistes d’adhérer à leur asso­cia­tion. « Mais l’expression poli­tique est deve­nue essen­tielle,  tranche cet ingé­nieur infor­ma­tique de 26 ans. Sans elle, notre action devient faible. »

Barcelone, 20 février 2018. Alba, 30 ans, pra­tique le Castells depuis sa petite enfance. ©Alice Raybaud
La cal­ço­ta­da est une fête très popu­laire, célé­brée en famille ou dans la rue du quartier.

« A mon sens, la Catalogne a réus­si là où l’Espagne a échoué à construire une uni­té natio­nale », affirme Carole Vinals, maître de confé­rence en ques­tions ibé­riques. Cette réus­site dans la consti­tu­tion d’une iden­ti­té com­mune, la Catalogne la doit aux asso­cia­tions et à leur mobi­li­sa­tion de la culture, selon cette cher­cheuse qui a pas­sé son enfance et son ado­les­cence en Catalogne. 

« Notre asso­cia­tion est comme une petite ville, se pas­sionne Lluis Gomez. Si vous vivez dans un vil­lage de 350 habi­tants et que vous devez coopé­rer pour atteindre un but, il y a, rapi­de­ment, trans­mis­sion d’une iden­ti­té et d’un fort sen­ti­ment d’appartenance. » Outre ces rendez-vous heb­do­ma­daires, la trans­mis­sion se joue dans les acti­vi­tés annexes orga­ni­sées entre asso­cia­tions, selon Nuria, et notam­ment dans les repas de quar­tiers. Lieux de convi­via­li­té par excel­lence, il en existe de toutes sortes. « On fait tous ensemble des Calçotadas, des repas où l’on mange des oignons grillés avec une sauce spé­ci­fique », raconte Nuria, enchan­tée  de par­ta­ger ces tra­di­tions cata­lanes. « C’est très popu­laire ! Tu achètes sim­ple­ment ton ticket et tu vas t’asseoir sur des bancs avec d’autres per­sonnes de la rue, autour d’un cava (le cham­pagne local) ou d’un vin rouge. » Dans ces fêtes locales, les Castells sont sou­vent à l’honneur, repré­sen­ta­tifs, comme les bois­sons et la nour­ri­ture, de la culture catalane.

Les par­tis indé­pen­dan­tistes mobi­lisent régu­liè­re­ment cette image d’un col­lec­tif soli­daire, fort et dédié à construire un pro­jet com­mun. « Avant le réfé­ren­dum du 1ᵉʳ octobre der­nier, la coa­li­tion poli­tique Junts pel Sí (JpS, Ensemble pour le oui) a uti­li­sé des images de Castellers dans ses clips de cam­pagne », explique Fabrice Corrons. Et pour ce cher­cheur, cette récu­pé­ra­tion poli­tique ne se fait pas contre le gré des col­las. Certaines asso­cia­tions du tis­su cata­lan œuvrent offi­ciel­le­ment pour l’indépendance. Créée en 1961 avec une seule visée cultu­relle, Òmnium a pris un tour­nant plus poli­tique dès les années 2010, s’alliant ensuite en 2012 à l’ANC qui venait de naître. L’Assem­blea nacio­nal cata­la­na le reven­dique : son objec­tif pre­mier est la consti­tu­tion d’une République cata­lane indépendante. 

« Faire prendre conscience aux Catalans qu’ils sont un peuple »

Barcelone, 20 février 2018. Francesc Bellavista laisse de plus en plus de côté son métier de tra­duc­teur au pro­fit de l’ANC. ©Claire Leys

Dans cette lutte com­mune, ces deux asso­cia­tions repré­sentent une masse de mili­tants non négli­geable : 100 000 adhé­rents pour Òmnium et 80 000 pour la plus jeune ANC. A elles deux, elles par­viennent à faire sor­tir des cen­taines de mil­liers de per­sonnes dans les rues : plus de 800 000 dans Barcelone pour la Diada de 2016, la “fête natio­nale cata­lane”. Pour Francesc Bellavista, membre de la direc­tion de l’ANC, tout leur tra­vail consiste à faire prendre « conscience aux Catalans qu’ils font par­tie d’un peuple ».  Les asso­cia­tions misent beau­coup sur la com­mu­ni­ca­tion interne et externe, notam­ment par une très forte acti­vi­té sur les réseaux sociaux.  La mani­fes­ta­tion du 16 février der­nier, en sou­tien aux lea­ders empri­son­nés,  a été lar­ge­ment relayée par l’association Òmnium Cultural à tra­vers des tweets mon­trant la foule amas­sée sur la place Sant Jaume de Barcelone. Le mes­sage du pré­sident de l’association Jordi Cuixart a été ret­wee­té 2 300 fois.

Missatge des de la presó :

Gràcies a tots els qui ens il·lumineu d’esperança. No hi ha justí­cia ni demo­crà­cia sense lli­ber­tat ! https://t.co/dbYjGxAG4a • pic.twitter.com/y9KCxsHMiI

— Jordi Cuixart (@jcuixart) February 16, 2018

Si l’on compte les cen­taines d’an­tennes locales de ces deux asso­cia­tions, cha­cune avec un canal de com­mu­ni­ca­tion, c’est une véri­table masse de tweets qui est envoyée pour chaque grande mani­fes­ta­tion. « C’est par un tra­vail de longue haleine, en local, sur l’éducation, la langue et à tra­vers des acti­vi­tés cultu­relles que ces asso­cia­tions gagnent du ter­rain pour l’indépendance », ana­lyse Carole Vinals. Le 28 février, c’est une table ronde sur le thème de “l’immersion lin­guis­tique” qu’organisait la locale d’Òmnium à Tarragone, ville por­tuaire située à cent kilo­mètres au sud de Barcelone. Il était ques­tion d’en­sei­gne­ment du cata­lan et de cohé­sion sociale, des ques­tion­ne­ments qui ont sou­vent été de l’initiative de la socié­té civile. 

« Òmnium a été créée à la demande même des popu­la­tions de petits vil­lages cata­lans », assure Elena Jimenez, membre de la direc­tion de l’association. Elle se sou­vient de ses grands-parents lui racon­tant que, sous la dic­ta­ture fran­quiste pen­dant laquelle l’usage du cata­lan était pro­hi­bé, ils devaient conti­nuer en cachette à pra­ti­quer cette langue qu’ils ne vou­laient pas perdre. « Les Catalans dési­raient pré­ser­ver leur culture. Ils ont entre­pris les actions néces­saires à cette pré­ser­va­tion, explique-t-elle. Cela pas­sait, par exemple, par la for­ma­tion clan­des­tine de pro­fes­seurs pour qu’ils puissent ensei­gner le catalan. »

« Ce qui m’a tout de suite plu dans l’ANC, c’est qu’elle est trans­ver­sale, dédiée à toute per­sonne quelle que soit son affi­lia­tion poli­tique », explique Roser Cusso, pro­fes­seur en socio­lo­gie qui pour­suit son com­bat à Paris en tant que porte-parole de l’ANC France. « Notre trans­ver­sa­li­té est notre force, souffle Francesc Bellavista. Elle per­met de tou­cher toutes les strates de la socié­té et de ne pas se res­treindre à une seule cou­leur. C’est grâce à cela qu’on peut mobi­li­ser autant d’énergie. » Aux Castellers de Sants, si la vague indé­pen­dan­tiste a depuis long­temps conquis les esprits, les affi­liés et non-affiliés poli­tiques se mêlent. On nous indique aisé­ment celui dont la mère est enga­gée à Òmnium, ou encore ce par­ti­ci­pant qui a sa carte à la CUP, par­ti de gauche radi­cale. Ce mar­di soir, la séance est écour­tée. Ignorant le froid de la nuit tom­bée, une tren­taine de par­ti­ci­pants marchent d’un pas tran­quille vers le local de l’association. Porteurs et por­tés se retrouvent pour par­ta­ger un sand­wich, une bière et un moment devant le match du jour :  Chelsea contre Barcelone. A la col­la du quar­tier, on ne rate jamais un soir de foot­ball avec le Barça. Au milieu des bois­sons et des rires, un sen­ti­ment est pal­pable : celui de l’appartenance.

Travail enca­dré par Alain Salles, Fabien Palem, Cédric Rouquette et Cédric Molle-Laurençon. 

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Rubrique : Tu seras catalanMots-clés : association, omnium, jordi cuixart, jordi sanchez, appartenance, collectif, populaire, société, castellers, sport, indépendantisme, identité, culture, #ANC, Prison, politique, catalogne

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