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Le média de la CFJ72 à Barcelone

Sardane, danser son identité

La sar­dane est une danse tra­di­tion­nelle cata­lane. Pratiquée depuis plus d’un siècle, elle a long­temps été un vec­teur de convic­tions indé­pen­dan­tistes. Tandis que le débat sur la sou­ve­rai­ne­té de la région bat son plein, elle n’est plus un outil de contes­ta­tion mais demeure un mar­queur identitaire.

Écrit par Lisa Monin Enquête de Lisa Monin, Adélaïde Tenaglia et Alizée Vincent, à Barcelone
Publié le 3 mars 201815 mars 2018
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[youtube url=“https://www.youtube.com/watch?v=t‑rOgHUgMYo” autoplay=“yes” class=“danse sardane barcelona culture ”]

Les hommes sont dégui­sés en Zorro, les femmes en gitane moderne : une jupe bario­lée, un tablier doré noué à la taille et un châle bleu tur­quoise sur les épaules. Sur la place de la cathé­drale à Barcelone – bon­dée en cette mati­née domi­ni­cale – la troupe cos­tu­mée attire l’attention des pas­sants. Devant l’édifice reli­gieux, un orchestre a pris place. Tandis que le son du fla­biol (petite flûte locale) reten­tit, une ronde humaine se forme méca­ni­que­ment. On entasse les effets per­son­nels au centre du cercle, le bal peut com­men­cer. « La sar­dane se danse les mains unies, pour que nous for­mions un groupe. » Maria Céleste, 65 ans, a pris goût à cette tra­di­tion cata­lane lorsqu’elle était enfant. « Au début c’était can­ton­né à la mai­son, puis quand Franco est mort, on a pu en faire dans la rue. » Quarante plus tard, l’activité n’est plus syno­nyme de résis­tance civile, elle s’est bana­li­sée. Quelques pas croi­sés en avant puis en arrière, les bras tan­tôt levés, tan­tôt bais­sés : la cho­ré­gra­phie paraît élé­men­taire. L’âge éle­vé des par­ti­ci­pants le justifie.

Place de la cathé­drale, Barcelone, 18 février 2018. Maria Celeste (à droite) et ses amis pra­tiquent la sar­dane depuis leur plus jeune âge. Soixante ans plus tard, leur pra­tique est plus gaie que jamais. ©Lisa Monin

Tradition démocratique

Traditionnellement, la sar­dane a tou­jours été ryth­mée par des idées poli­tiques. Elle est appa­rue au XIXème siècle dans la région de l’Empordà, entre Gérone et Perpignan. Alors signe de moder­ni­té, cette danse était appré­ciée des hommes jeunes, issus des classes popu­laires et rurales. « Ils s’opposaient aux puis­sants et aux aris­to­crates. Elle pro­vo­quait déjà une ten­sion », assure Joaquim Rabaseda, chef du dépar­te­ment musi­co­lo­gie de l’ESMUC (Ecole supé­rieure de musique de Catalogne).

Cette danse régio­nale a fait son che­min jusqu’à Barcelone, en même temps que les pre­mières reven­di­ca­tions indé­pen­dan­tistes : « Au tout début du XXe siècle, un ensemble d’intellectuels – musi­ciens, poètes, phi­lo­sophes – a com­men­cé à reven­di­quer un nou­veau sta­tut poli­tique. Sur cette base, s’est créée la Ligue Régionaliste. » Le par­ti indé­pen­dan­tiste uti­lise alors les spé­ci­fi­ci­tés cata­lanes pour asseoir son idéo­lo­gie, « la sar­dane s’est ain­si trans­for­mée en une danse iden­ti­taire », sou­ligne Joaquim Rabaseda.

Place de la cathé­drale, Barcelone, 18 février 2018. Une sar­da­niste por­tant le ruban jaune lors du bal domi­ni­cal. ©Lisa Monin

La recru­des­cence du natio­na­lisme durant les deux dic­ta­tures espa­gnoles, celle de Primo de Rivera (1923−1930) puis celle de Franco (1939−1977), jette l’opprobre sur les tra­di­tions régio­nales, y com­pris les plus fes­tives. « Sous Primo de Rivera, l’Etat espa­gnol a atta­qué les par­tis cata­la­nistes, des locaux de sar­da­nistes ont été fer­més, cer­tains airs emblé­ma­tiques inter­dits », raconte Jaume Nonell, spé­cia­liste de la sar­dane. « Dans son his­toire, plus elle est répri­mée, plus son poids sym­bo­lique s’ac­croît. » Dans les années 30, à l’arrivée du par­ti répu­bli­cain on lui attri­bue le sta­tut de « danse natio­nale de Catalogne ».

Mémoire d’une génération

La géné­ra­tion née à cette époque n’a jamais ces­sé de s’adonner à la sar­dane. Octogénaires et sep­tua­gé­naires y voient aujourd’hui une occa­sion de main­te­nir le tis­su social. L’âge alté­rant les capa­ci­tés phy­siques, les plus frêles se contentent de regar­der le spec­tacle, au même titre que les tou­ristes. L’activité est jugée rin­garde par beau­coup de jeunes Catalans qui y pré­fèrent sou­vent les cas­tel­lers, les fameux châ­teaux humains. Pourtant la sar­dane ne dis­pa­raît pas, elle trouve chaque année de nou­veaux adeptes. « Les gens de 50–60 ans intègrent peu à peu cet uni­vers : ils ont plus de temps, phy­si­que­ment l’activité cor­res­pond bien à leur pro­fil et c’est un moyen de faire des ren­contres pour les céli­ba­taires. » La convi­via­li­té est incon­tes­table, les dan­seurs se lancent sys­té­ma­ti­que­ment dans des dis­cus­sions enjouées entre deux musiques.

Casa dels Entremesos, Barcelone, 17 février 2018. Cours de sar­dane dans un lieu cultu­rel dédié à la Catalogne. ©Lisa Monin

Pour les néo­phytes, la Casa dels Entremesos, un centre cultu­rel non loin de la cathé­drale, pro­pose chaque same­di des leçons. Elles sont dis­pen­sées par Victor et Corisol, 79 ans tous les deux. Le mari se charge de la musique, l’épouse de la cho­ré­gra­phie. Le cours est pré­vu à midi « mais on ne com­mence jamais à l’heure, pré­vient d’emblée Victor. On ne sait pas non plus qui on attend, la par­ti­ci­pa­tion est libre et aucune régu­la­ri­té n’est exi­gée. » Les élèves arrivent au compte-gouttes. Ils revêtent une tenue de ville et des chaus­sures confor­tables. Chacun prend soin d’accoler un badge nomi­na­tif sur son col, pour être clai­re­ment iden­ti­fié. Durant le cours, les visages sont cris­pés, occu­pés à comp­ter méti­cu­leu­se­ment les pas. Corisol n’est pas com­mode, elle cor­rige sèche­ment les mal­adresses. Chaque détail compte. Mais cette classe est avant tout une façon de se réunir. Victor aime la sar­dane pour sa phi­lo­so­phie : « C’est ouvert à tout le monde, peu importe l’âge ou la classe sociale. L’esprit est démo­cra­tique et cha­cun doit se respecter. »

Danseurs compétiteurs

L’activité ne séduit pas seule­ment le troi­sième âge. Il existe des ama­teurs par­mi les caté­go­ries actives de la popu­la­tion. Une soixan­taine de com­pé­ti­tions de col­las, lit­té­ra­le­ment des rondes de dan­seurs, se tiennent tous les ans. « Des adeptes se réunissent pour for­mer un ensemble de niveau pro­fes­sion­nel, sauf qu’ils ne sont pas payés. Il y a une très forte concur­rence », explique Joaquim Rucabado, le pré­sident de la Confédération sar­da­niste de Catalogne. Cette enti­té régit tout ce qui touche de près ou de loin à l’activité. Il estime que 200 000 à 300 000 per­sonnes pra­tiquent la sar­dane en Catalogne.

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Plus phy­siques que de simples bals, les cham­pion­nats accueillent des par­ti­ci­pants plus jeunes (adultes, ado­les­cents et même enfants). Mare Nostrum, est la col­la cham­pionne de Catalogne en 2017 en pro­gramme libre. En période de com­pé­ti­tion, le groupe se réunit jusqu’à quatre fois par semaine, pen­dant deux heures. On s’exerce en tenue de sport : shorts en licra et t‑shirt assor­tis, agré­men­tés de viga­tanes, des espa­drilles à lacets.

La majeure par­tie de l’entraînement ne se fait pas en ronde mais en petits groupes orien­tés dans la même direc­tion, une main sur l’épaule de la per­sonne devant, et le regard rivé sur les pieds : il faut s’assurer d’être coor­don­nés à la per­fec­tion. Ces sar­da­nistes aguer­ris ont entre 17 et 48 ans. Les cho­ré­gra­phies sont phy­siques : le rythme car­diaque se pré­ci­pite à force de sau­tiller pen­dant sept à huit minutes. « On a sou­vent ten­dance à pen­ser que c’est pour les vieux, je n’ai pas du tout ce sen­ti­ment », plai­sante Juan, 25 ans, en sueur.

Casa dels Entremesos, Barcelone, 22 février 2018. Entraînement avec Mare Nostrum, les dan­seurs portent des bas de conten­tion pour favo­ri­ser la cir­cu­la­tion san­guine et sou­la­ger les mol­lets. ©Lisa Monin

Ester Cibran dirige la col­la, dans le jar­gon c’est une cap­dan­cer. Cette femme de 45 ans aux che­veux courts a appris à dan­ser la sar­dane lorsqu’elle avait deux ans. Elle a rejoint sa pre­mière col­la à quatre. « J’aime la com­pé­ti­tion, et sur­tout j’aime gagner ». A l’ins­tar des ama­teurs de bals domi­ni­caux, elle refuse de cor­ré­ler sa pra­tique à la poli­tique.  Elle a pour­tant voté en faveur de l’in­dé­pen­dance, lors du réfé­ren­dum du 1er octobre 2017 (inter­dit par le gou­ver­ne­ment espagnol). 

Casa dels Entremesos, Barcelone, 22 février 2018. Ester Cibran, la cap­dan­cer de Mare Nostrum. ©Lisa Monin

Ambassadrice de la Catalogne

Les emblèmes cata­lans sont omni­pré­sents dans la sar­dane : la senya­ra (le dra­peau cata­lan) flotte à côté de l’orchestre, lui-même est com­po­sé majo­ri­tai­re­ment d’instruments locaux, la langue cata­lane est la seule uti­li­sée – sur les bro­chures, en cours et lors des com­pé­ti­tions – , les espa­drilles sont fabri­quées dans la région… Chaque dan­seur baigne ain­si dans la culture de « son pays », qu’il soit indé­pen­dan­tiste ou non. 

Place de la cathé­drale, Barcelone, 18 février 2018. Une cobla – orchestre cata­lan – ins­tal­lée devant la cathé­drale de Barcelone pour le bal domi­ni­cal. ©Lisa Monin

« Les sar­da­nistes dansent avant tout parce qu’ils aiment cela, mais il est cer­tain que la danse est asso­ciée à une idéo­lo­gie poli­tique. Je pense que la majo­ri­té est en faveur de l’indépendance, la Confédération en tout cas se posi­tionne clai­re­ment », consi­dère Joaquim Rabaseda, chef du dépar­te­ment musi­co­lo­gie de l’ESMUC. De grands rubans jaunes ornent effec­ti­ve­ment la façade du siège de l’organisation. A l’intérieur, le dra­peau cata­lan accueille les visi­teurs. Le pré­sident porte l’écharpe jaune, signe dis­tinc­tif des indé­pen­dan­tistes. Joaquim Rucabado refuse pour­tant d’être caté­go­rique : « Je dirais que la plu­part de ceux qui pra­tiquent la sar­dane sont indé­pen­dan­tistes mais sin­cè­re­ment il y a de tout ! » En tant que tra­di­tion locale, elle attire natu­rel­le­ment un public atta­ché à l’identité cata­lane. Aucun Barcelonais n’ac­cepte cepen­dant de lier for­mel­le­ment sar­dane et indépendance. 

L’activité vit prin­ci­pa­le­ment de dota­tions publiques. Ainsi, les sub­ven­tions accor­dées par la Generalitat (le gou­ver­ne­ment de Catalogne), les dépu­ta­tions pro­vin­ciales (admi­nis­tra­tions régio­nales) et les mai­ries sont capi­tales. Depuis l’activation, le 21 octobre der­nier, de l’article 155 de la Constitution, Madrid exerce un contrôle total des finances de la région. Pour l’instant, les cré­dits de la Confédération sar­da­niste de Catalogne n’ont pas été réduits : « Le bud­get qui nous est accor­dé porte sur un exer­cice de trois ans et nous enta­mons la der­nière année, détaille Joaquim Rucabado. On espère que ça conti­nue­ra en 2019. »

Casa de la Sardana, Barcelone, 21 février 2018. La Confédération sar­da­niste de Catalogne est favo­rable à l’in­dé­pen­dance. Au siège de l’or­ga­ni­sa­tion, on ne s’en cache pas. ©Lisa Monin

Quoi qu’il en soit, les dan­seurs les plus zélés pour­ront tou­jours trou­ver refuge de l’autre côté des Pyrénées. Dans la Catalogne Nord, la par­tie fran­çaise de la région (cor­res­pon­dant au dépar­te­ment des Pyrénées-Orientales), la sar­dane est éga­le­ment répu­tée. Si la Confédération ne dis­pose d’aucune auto­ri­té légale à l’étranger, elle col­la­bore étroi­te­ment avec la Fédération Sardaniste du Roussillon. Dans son cata­logue, elle réfé­rence les trois col­las et les six coblas ins­tal­lées dans l’Hexagone. Chaque année, une capi­tale de la sar­dane est dési­gnée, « pour qu’on ait plus de visi­bi­li­té », pré­cise Joaquim Rucabado. Figueras a été choi­sie pour 2018. L’année sui­vante ce sera au tour de Perpignan.

[box title=“Petit lexique du sar­da­niste” box_color=”#f53f3C” title_color=“#33333” radius=“16”]Colla : ronde de danseurs
Cobla : orchestre cata­lan qui accom­pagne chaque danse
Vigatanes : espa­drilles à lacets, por­tées sur­tout lors des concours
Flabiol : petite flûte locale à bec, par­fois agré­men­tée d’un tambourin
Capdancer : celui qui dirige une colla
Senyara : le dra­peau cata­lan [/box]

Travail enca­dré par Alain Salles, Frédéric Traini, Cédric Rouquette et Cédric Molle-Laurençon.

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Rubrique : MémoiresMots-clés : indépendance, catalogne, barcelone, politique, danse, culture, mémoire, tradition, identité, activité, musique

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