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Le média de la CFJ72 à Barcelone

En Catalogne, la lutte armée n’a pas trouvé ses héritiers

En Catalogne, la ten­sion ne cesse de mon­ter entre les indé­pen­dan­tistes et le pou­voir de Madrid. Les vété­rans de la lutte armée observent le rap­port de force mais n’ont pas pré­pa­ré de relève après avoir enter­ré les armes il y a deux décennies.

Écrit par Maryam El Hamouchi Enquête de Maryam El Hamouchi et Marie Daoudal, à Barcelone et Gérone
Publié le 3 mars 201816 mars 2018
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Des mil­liers de mani­fes­tants arborent les dra­peaux cata­lans rouge, jaune et bleu à la Plaça Sant Jaume (Place Saint Jacques) de Barcelone. Autour d’eux, les Mossos d’Esquadra, la police régio­nale cata­lane, sont dis­po­sés en rangs ser­rés. Ils tiennent une matraque dans leur main droite et un bou­clier au bras gauche. Trois héli­co­ptères sur­volent la zone. En ce 11 octobre, les esprits sont à vif. Carles Puigdemont, pré­sident de la Generalitat (gou­ver­ne­ment, par­le­ment et admi­nis­tra­tion publique de la Catalogne), s’apprête à déclarer uni­la­té­ra­le­ment l’indépendance de la région, après des semaines de conflit avec le pou­voir cen­tral madri­lène. Ses sou­tiens attendent, ten­dus. Il ne manque plus qu’une étin­celle pour que la situa­tion dégé­nère. Tous ont en tête les vio­lences com­mises par les forces de l’ordre le 1ᵉʳ octobre, jour du réfé­ren­dum lors duquel les habi­tants de Catalogne étaient invi­tés à s’exprimer sur l’indépendance. Coups de matraque, civils traî­nés sur le sol par les che­veux, per­sonnes âgées au visage ensan­glan­té… les images ont rapi­de­ment été dif­fu­sées sur les réseaux sociaux. C’était « le point de rup­ture », affirme Miquel Casals, dési­gné comme un ancien membre du groupe ter­ro­riste Terra Lliure (Terre libre en cata­lan) par des proches du mou­ve­ment. Lui admet seule­ment avoir fait par­tie de la branche poli­tique du groupe, le Moviment de defen­sa de la ter­ra (MDT, Mouvement de défense de la terre).

De 1978 à 1995, Terra Lliure a com­mis envi­ron 200 atten­tats qui ont tué une per­sonne et fait 70 bles­sés. Les membres du groupe, dont le noyau dur était com­po­sé d’une ving­taine de per­sonnes, visaient prin­ci­pa­le­ment des ins­ti­tu­tions comme la jus­tice et la police. Aujourd’hui, les anciens mili­tants ayant gra­vi­té autour de Terra Lliure ne jurent plus que par le paci­fisme, par­fois par stra­té­gie. Pour eux, le retour de la vio­lence est impro­bable voire impos­sible. Ils consi­dèrent que leur mili­tan­tisme a per­mis l’es­sor d’un mou­ve­ment indé­pen­dan­tiste de masse qui n’a pas besoin d’a­voir recours à la vio­lence. Surtout, une lutte armée ne serait pas sou­te­nue par la socié­té cata­lane qui a subi de plein fouet la répres­sion fran­quiste et qui souffre aujourd’­hui du ter­ro­risme isla­miste. Ils racontent qu’a­près des années de mili­tan­tisme, ils sont par­ve­nus à la conclu­sion que la vio­lence ne mène à rien. Quant aux jeunes mili­tants, ils semblent pour l’heure réfrac­taires à l’utilisation de la vio­lence. Et les par­tis poli­tiques se chargent de conte­nir les vel­léi­tés de ceux qui pour­raient sor­tir du rang. 

La paix comme stratégie 

Gérone, 20 février 2018. Miquel Casals, ancien membre du Movimient de defen­sa de la ter­ra (branche poli­tique de Terra Lliure). ©Maryam El Hamouchi

« A 18 ans, j’aurais pu être un ter­ro­riste poten­tiel, j’ai fait cer­taines choses… atta­quer des casernes de la Guardia civil (police natio­nale mili­taire, ndlr), mettre des explo­sifs dans des tri­bu­naux et brû­ler des machines », raconte Miquel Casals, 56 ans, désor­mais chef d’entreprise dans le bâti­ment à Gérone. Alors qu’il se tenait jusque-là droit et fier, son dos se voûte et il com­mence à mani­pu­ler fré­né­ti­que­ment le tube de crème pour les mains posé sur la table basse en bois mas­sif de son appar­te­ment luxueux du centre-ville. « On agis­sait beau­coup sous le coup des émo­tions. Aujourd’hui, il faut rai­son­ner », disserte-t-il. Il ne renie pas les actions com­mises il y a une ving­taine d’années. Avec du recul, il s’es­time pour­tant « naïf » d’a­voir cru que « ça allait chan­ger quelque chose ».

« Je n’ai jamais été une paci­fiste, même main­te­nant, lance de son côté Blanca Serra, membre de la Candidatura de Unidad Popular (CUP, Candidature d’u­ni­té popu­laire), par­ti poli­tique cata­lan d’extrême-gauche. Mais il y a des aspects de la lutte paci­fique qui sont inté­res­sants. Le paci­fisme est beau­coup plus lar­ge­ment accep­té dans la popu­la­tion ». Attablée à la café­té­ria de l’association cultu­relle Ateneu (Athénée) de Barcelone, elle parle sans détours. Avant d’être inves­tie par la CUP, elle était membre du Front nacio­nal de Catalunya (Front natio­nal de Catalogne) et du Partit Socialista d’Alliberament Nacional dels Països Catalans (PSAN, Parti socia­liste de libé­ra­tion natio­nale des pays cata­lans), orga­ni­sa­tions poli­tiques liées à Exèrcit Popular Català (Epoca, Armée popu­laire cata­lane), un groupe indé­pen­dan­tiste armé clan­des­tin sous le fran­quisme, et ensuite de Terra Lliure.

Pour Barbara Loyer, direc­trice de l’Institut fran­çais de géo­po­li­tique, « depuis très long­temps, les natio­na­listes cata­lans vendent à l’international l’idée d’une Catalogne hyper paci­fiste par rap­port à une Espagne qu’on ren­voie tou­jours à Franco. » 

Derrière cette rédemp­tion s’abrite le prag­ma­tisme des anciens membres de Terra Lliure. « Le groupe a exis­té à un moment où nous n’étions pas recon­nus parce que la socié­té cata­lane n’a pas sou­te­nu ce type d’actions, estime Miquel Casals. La vio­lence est sou­te­nue uni­que­ment par les per­sonnes qui sont déses­pé­rées et n’ont pas de res­sources. »

La société n’accepte plus la violence

Carles Sastre, ancien membre de Terra Lliure et d’Epoca, accom­pagne Blanca Serra. Pour lui, les mou­ve­ments indé­pen­dan­tistes doivent s’adapter à leur époque et la lutte armée ne peut pas être uti­li­sée n’importe quand. « C’est le contexte qui va per­mettre cer­taines démarches, explique-t-il. Et aujourd’hui, ce contexte est dif­fé­rent. La fin de la dic­ta­ture a été un tour­nant, les guerres anti-coloniales ont dis­pa­ru donc les luttes armées ne sont plus per­çues de la même manière. »

Sur la Plaça de Catalunya (Place de la Catalogne) à Barcelone, quatre femmes tri­cotent une écharpe jaune, nou­veau sym­bole de la lutte indé­pen­dan­tiste. L’objectif est qu’elle soit assez longue pour aller de Barcelone à la pri­son Soto del Real à Madrid où sont déte­nus deux lea­ders du mou­ve­ment indé­pen­dan­tiste cata­lan : Jordi Sànchez et Jordi Cuixart. Ces femmes connaissent toutes Terra Lliure mais se targuent d’appartenir à une socié­té pacifiste.

Plaça de Catalunya, Barcelone, 23 février 2018. Des femmes tri­cotent une écharpe jaune, nou­veau sym­bole de la lutte indé­pen­dan­tiste. ©Maryam El Hamouchi

« Notre pays, la Catalogne, n’est pas violent », lance, en repre­nant de la laine jaune, Pilar, pour qui ce mer­cre­di 21 février est son pre­mier jour de tri­cot sur la place. « Nous res­tons dans notre posi­tion de non-violence, cer­taines sta­tis­tiques disent que ça per­met d’accomplir deux fois plus de choses que la vio­lence », ren­ché­rit Mari Antonia, tout en maniant rapi­de­ment ses aiguilles à tricoter. 

Sans citer de sta­tis­tiques, Carles Sastre prône lui aus­si la non-violence. Pour l’ancien ter­ro­riste, le « choc » pro­vo­qué par « l’histoire des atten­tats isla­mistes » dans la socié­té cata­lane a défi­ni­ti­ve­ment ren­du l’utilisation de la vio­lence impossible. 

Concurrence des terrorismes

En août 2017, l’Etat isla­mique a com­mis deux atten­tats en Espagne, cau­sant 16 morts au total, dont 15 sur les Ramblas, une ave­nue dans le centre de Barcelone. « Après ce qui s’est pas­sé cet été avec les isla­mistes, il est vrai­ment déli­cat aujourd’hui pour un mou­ve­ment cata­lan, quel qu’il soit, d’arriver à mobi­li­ser les masses pour faire des actions com­pa­rables à celles des isla­mistes », ana­lyse Barbara Loyer.

Depuis 2004 et l’at­ten­tat per­pé­tré par Al-Qaïda dans la gare d’Atocha à Madrid qui a fait 191 morts, les ter­ro­ristes isla­mistes ont tué 263 per­sonnes en Espagne, selon les chiffres de l’Association de vic­times du ter­ro­risme (AVT). Avant eux, l’Euskadi Ta Askatasuna (ETA, Pays basque et liber­té en basque), orga­ni­sa­tion armée basque indé­pen­dan­tiste consi­dé­rée comme ter­ro­riste par l’Espagne et la France, avait déjà écor­né l’image des actions vio­lentes, et donc de Terra Lliure. Pour Blanca Serra, les Basques de l’ETA ont « rom­pu un pacte » lorsqu’ils ont tué 21 per­sonnes dans l’explosion du super­mar­ché Hipercor à Barcelone en 1987.

En 1987, l’ETA a pla­cé une voi­ture pié­gée dans le par­king du super­mar­ché Hipercor, tuant 21 per­sonnes. ©Maryam El Hamouchi

« On pen­sait que l’action d’ETA n’affecterait pas la Catalogne parce que le ter­ri­toire cata­lan était un sanc­tuaire, explique-t-elle. Lors de l’attentat de l’Hipercor, les Basques de l’ETA ont agi de manière bru­tale sans tenir compte de rien ». « La sym­pa­thie et la soli­da­ri­té » entre les deux orga­ni­sa­tions ont été mises à mal, selon elle. 

Nouvelles résistances

Les anciens membres de Terra Lliure et ceux qui ont gra­vi­té autour éla­borent de nou­velles façons de lut­ter pour l’indépendance, en impo­sant la non-violence. « Au début du pro­ces­sus indé­pen­dan­tiste, la CUP pou­vait avoir un cer­tain nombre de ses mili­tants qui consi­dé­raient qu’il fal­lait mettre en place une stra­té­gie insur­rec­tion­nelle, ana­lyse Barbara Loyer. Mais les diri­geants ont opté pour une stra­té­gie qui reste non-violente. » A la CUP, des cours de résis­tance pas­sive ont été mis en place pour conte­nir ces « vel­léi­tés ». « Le 27 sep­tembre, il y a  presque eu un coup d’Etat de l’Espagne au sein de la CUP, raconte Blanca Serra. La police a débar­qué dans les locaux, une vraie pro­vo­ca­tion car ils n’avaient même pas de man­dat. On a déci­dé de faire une chaîne avec beau­coup de per­sonnes et ils ne sont pas ren­trés. On innove. »

Assis à côté d’elle, Carles Sastre hoche la tête. Désormais secré­taire géné­ral de l’Intersindicale-Confederación Sindical Catalana (Intersindicale-CSC, l’Intersyndicale-Confédération syn­di­cale cata­lane – un syn­di­cat de gauche), il consi­dère qu’il est pos­sible de chan­ger le rap­port de force grâce à « un grand mou­ve­ment social comme celui d’aujourd’hui ». « Le 8 novembre, on a occu­pé les gares, les lignes de train. Un jour de plus et le mar­ché cen­tral de Paris fer­mait parce que tous les pro­duits qui viennent d’Afrique passent par la Catalogne. Ce n’est pas de la lutte armée mais ça marche quand même. » 

Si l’Europe n’écoute pas le droit, peut-être qu’elle écoutera l’économie –  Carles Sastre, secrétaire général de l’Intersindical-CSC

Les mili­tants voient la résis­tance éco­no­mique comme une inno­va­tion. « La majo­ri­té d’entre nous atten­daient quelque chose de l’Europe parce qu’elle est démo­cra­tique, déclame Carles Sastre. Et ça n’arrive pas. On peut arri­ver à la conclu­sion que si l’Europe n’écoute pas le droit, peut-être qu’elle écou­te­ra l’économie. » Blanca et lui se féli­citent sur­tout de l’engagement popu­laire des habi­tants « nor­maux » inves­tis lors des blo­cages. « Avant, ils ne savaient pas qu’il fal­lait payer un prix, mais main­te­nant ils ont réa­li­sé ».

Mikel, un étu­diant de 18 ans, croit aus­si au pou­voir d’un « blo­cage éco­no­mique ». « Les jeunes mais aus­si les plus vieux sont fati­gués de ça », soupire-t-il en mon­trant la Place de la Catalogne, plu­tôt vide ce mer­cre­di 21 février, et deux per­sonnes lan­cées depuis quelques minutes dans un débat sur l’in­dé­pen­dance. Depuis une ving­taine de jours, il est pré­sent chaque soir au stand de Despertem la Republica (Réveillons la République) pour expli­quer aux pas­sants les rai­sons de la lutte indé­pen­dan­tiste. « Maintenant, ils veulent faire des actions pour mon­trer au monde que nous sommes forts, estime-t-il. Mais même si des groupes peuvent pen­ser à la vio­lence, ça reste hypo­thé­tique à cause de toute la répres­sion de l’Espagne. »

Plaça de Catalunya, Barcelone, 23 février 2018. Des poli­ciers sur­veillent les mani­fes­tants qui réclament la libé­ra­tion des “pri­son­niers poli­tiques” cata­lans. ©Maryam El Hamouchi

Deux jours plus tard, Sergi est pré­sent sur la place lors du ras­sem­ble­ment de sou­tien aux figures de l’indépendantisme cata­lan. Il arbore un tis­su sur lequel est écrit « El pue­blo cata­lan no se cal­la­ra », c’est-à-dire « Le peuple cata­lan ne se tai­ra pas ». Membre d’Arran, un groupe d’extrême-gauche radi­cale, il prône le paci­fisme. Comme toutes les per­sonnes ren­con­trées, qu’elles soient mili­tantes ou habi­tantes, il assure : « Je n’ai jamais vu des indé­pen­dan­tistes être vio­lents et je ne pense pas que des per­sonnes le devien­dront ». Le jour du réfé­ren­dum, l’étudiant s’est ren­du avec des amis dans les écoles où se tenaient les votes pour « pro­té­ger » la popu­la­tion des pos­sibles vio­lences de la police. Le mili­tant, peu fami­lier de Terra Lliure, indique que ses cama­rades et lui n’étaient pas for­més pour faire face aux forces de l’ordre mais qu’ils s’é­taient mis d’ac­cord pour ne pas recou­rir à la violence.

Pour l’heure en Espagne, les vété­rans de la lutte armée se sont reti­rés, sans créer de « Nueva Terra Lliure », et les jeunes, en pleine effer­ves­cence poli­tique, ne semblent pas prêts à deve­nir vio­lents. La Catalogne ne se tai­ra plus, mais a pour l’heure ran­gé ses armes.

Travail enca­dré par Fabien Palem, Jean-Baptiste Naudet, Cédric Rouquette et Cédric Molle-Laurençon.

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Rubrique : Dos à dosMots-clés : catalogne, politique, terrorisme, lutte armée, police, violences policieres

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