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Le média de la CFJ72 à Barcelone

Le « champagne » catalan pétille malgré la crise

Dans la val­lée du Penedès, à une heure de Barcelone, les petits pro­duc­teurs de cava, le « cham­pagne » cata­lan, ne sont pas inquiets pour l’avenir. Indépendance ou non, ils conti­nue­ront d’écouler leurs bulles à l’international. L’instabilité poli­tique en Catalogne inquiète néan­moins les deux colosses du marché.

Écrit par Emilie Duhamel Enquête de Emilie Duhamel et Paul-Luc Monnier, dans la vallée du Penedès (Catalogne)
Publié le 3 mars 201815 mars 2018
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La route sillonne les allées de vignes, entre deux vil­lages aux mai­sons ocre. Les ouvriers agri­coles s’affairent sur les branches nues. Armés de leurs séca­teurs, le geste sûr et caden­cé, ils effec­tuent la taille d’hiver. Les futurs rai­sins n’en seront que meilleurs. Bienvenue dans la val­lée du Penedès. À une heure de Barcelone vers l’est, les vigne­rons pro­duisent le cava, un vin pétillant typique de la région, depuis plu­sieurs géné­ra­tions. Comme presque par­tout en Catalogne, on est ici en terre indépendantiste.

230 domaines, dont 199 en Catalogne, se par­tagent le mar­ché de ce « cham­pagne » low-cost. Les vigne­rons se dis­tinguent néan­moins entre petits pro­duc­teurs, sereins mal­gré l’incertitude poli­tique, et grandes mai­sons, inquiètes pour leur busi­ness. Parmi ces der­nières, deux colosses : Codorniu, fon­dé en 1551, écoule 45 mil­lions de bou­teilles de pétillant chaque année. Chez Freixenet, en tête des ventes, c’est 100 millions.

Vilafranca del Penedès, 20 février 2018. L’hiver, les branches des vignes sont taillées pour don­ner de meilleurs rai­sins. ©Emilie Duhamel

Ces deux entre­prises  sont aujourd’­hui les plus grands pro­duc­teurs en volume de vin effer­ves­cent au monde. « Ici, 9 % des pro­duc­teurs réa­lisent 90 % de la pro­duc­tion », rap­pelle Xavier Nadal, petit pro­duc­teur de la val­lée. En 2016, 245 mil­lions de bou­teilles de cava ont été ven­dues dans le monde. La même année, le sec­teur a déga­gé 1 079 mil­lions d’euros de chiffre d’af­faires. Après l’équipe mythique du FC Barcelone, le cava est l’autre fleu­ron de la Catalogne. Un can­di­dat par­fait pour cris­tal­li­ser les craintes et les espoirs de l’é­co­no­mie de la région. 

Les petits producteurs affranchis du marché espagnol

Sur les hau­teurs, le vil­lage de Grabuac sur­plombe les par­celles de vignes. La pre­mière mai­son aper­çue depuis la route est une impo­sante bâtisse blanche. C’est celle de la mai­son Suriol, petit pro­duc­teur de cava depuis les années 1980. Accroché au volet de la fenêtre, le dra­peau indé­pen­dan­tiste “Demo­crà­cia” (Démocratie), avec un per­son­nage bâillon­né, vire­volte sous la brise, comme un rap­pel aux visi­teurs. Les maîtres des lieux, Francesc Suriol, 59 ans, et son fils ainé, Assìs Suriol, 35 ans, ont tous deux voté “Si!” au réfé­ren­dum pour l’indépendance de la Catalogne, le 1ᵉʳ octobre dernier.

Le regard pétillant et la mous­tache rieuse, Francesc se dit opti­miste pour l’avenir. Si la Catalogne devient indé­pen­dante, il ne pré­voit aucun « chan­ge­ment dras­tique ». Avec 30 hec­tares de vignes, l’entreprise fami­liale pro­duit 30 000 bou­teilles de cava chaque année. 

Dans la vaste salle qui sert aux dégus­ta­tions, le fils Assìs fait sau­ter le bou­chon d’une cuvée 2013. Sous la langue, le jus doré pétille. La pre­mière gor­gée donne la sen­sa­tion d’un alcool jeune, ponc­tué d’une amer­tume cer­taine, moins frui­té que le pro­sec­co, son cou­sin ita­lien. 75 cen­ti­litres de fines bulles, bien moins chères que le cham­pagne, le cava est un pro­duit de fête incon­tour­nable en Espagne. En moyenne, 35 mil­lions de bou­teilles sont consom­mées entre Noël et le pre­mier de l’An, selon le Conseil de régu­la­tion du cava.

Grabuac, 20 février 2018. Francesc et Assìs Suriol trinquent à la san­té de leur domaine viti­cole. ©Emilie Duhamel

« Mais le mar­ché espa­gnol n’est plus un objec­tif pour nous », affirme Francesc. Danemark, Pays-Bas, Allemagne, Belgique, Royaume-Uni, Etats-Unis : la mai­son Suriol exporte 70 % de ses bulles à l’étranger. Stratégie com­mer­ciale pour entrer dans la mon­dia­li­sa­tion ? Pas seule­ment. Les petits pro­duc­teurs de cava se sou­viennent encore du boy­cott de 2005. 

Cette année là, Madrid et Barcelone s’étaient vive­ment oppo­sées à pro­pos de la can­di­da­ture à l’organisation des Jeux olym­piques de 2012 de la capi­tale espa­gnole. Les décla­ra­tions anti-madrilènes de cer­tains lea­ders indé­pen­dan­tistes ont atti­sé les ran­coeurs natio­na­listes ; la brouille a fina­le­ment inci­té les non-catalans à se détour­ner des pro­duits de la pro­vince. Le cava en pre­mière ligne. Ses ventes avaient alors recu­lé d’environ 7 % par rap­port à 2004.

« Ce n’est pas nor­mal, s’in­surge, la gorge nouée,  Xavier Nadal, à la tête d’un petit vignoble fon­dé en 1515. Les per­sonnes qui par­ti­cipent au boy­cott ne réa­lisent pas les consé­quences ». Il a dû lui aus­si effec­tuer ce virage vers l’international et exporte aujourd’hui 50 % des 300 000 bou­teilles pro­duites chaque année sur son site d’El Pla du Penedès. « Je dois me moder­ni­ser, martèle-t-il. Si le client espa­gnol me ferme la porte, je n’attends pas et je cherche des alternatives. »

Depuis les débuts de la crise en Catalogne, le vigne­ron n’a obser­vé « aucun impact signi­fi­ca­tif » sur ses ventes. Il confesse néan­moins ne pas avoir retrou­vé les clients per­dus dix ans plus tôt. « On ignore quelle aurait été notre crois­sance sans le boy­cott », se désole-t-il. 

Codorniu et Freixenet : les grandes maisons sur leurs gardes

Avec près de 2 000 employés, Freixenet et Codorniu sont les deux navires ami­raux du pétillant cata­lan à Sant Sadurní d’Anoia. Dans la « capi­tale » du cava, coquet bourg de 13 000 habi­tants, l’entreprise Freixenet étale son nom en neuf monu­men­tales lettres blanches sur des cen­taines de mètres d’entrepôts. Le lea­der du mar­ché, qui affiche un chiffre d’affaire de 529 mil­lions d’euros en 2016, exporte sa pro­duc­tion à 80 % hors d’Espagne.

Sant Sadurní d’Anoia, 20 février 2018. Le nom de Freixenet s’af­fiche en grand sur le toit de la mai­son mère. ©Emilie Duhamel

Or, « si la Catalogne devient indé­pen­dante, elle ne res­te­ra pas auto­ma­ti­que­ment dans l’Union euro­péenne », redoute Carles Jimenez, 32 ans, conseiller muni­ci­pal et repré­sen­tant du Partido popu­lar (PP, Parti popu­laire) au sein de la mai­rie. Ces incer­ti­tudes sur la place du cava dans le mar­ché euro­péen, sur le réta­blis­se­ment des fron­tières et sur le main­tien de l’Euro, les plus petits vigne­rons les balaient du revers de la main : « Je  ne crois pas qu’avec l’indépendance, les fron­tières de la Catalogne seront un obs­tacle, veut croire le petit pro­duc­teur Francesc Suriol. Jamais. »

En décembre der­nier, en pleine cam­pagne pour les élec­tions régio­nales, le Premier ministre Mariano Rajoy s’était invi­té dans les caves voû­tées de la mai­son Freixenet, pri­sées le reste de l’année par des tou­ristes curieux. A la tête de l’entreprise, José Luis Bonet, 76 ans, puis­sant homme d’affaires, éga­le­ment pré­sident de la Chambre de com­merce d’Espagne, a pro­fi­té de la venue du lea­der du PP pour remer­cier le gou­ver­ne­ment. « Ce que nous vou­lons, c’est la nor­ma­li­té, et cette nor­ma­li­té a été pro­duite par l’ap­pli­ca­tion de l’article 155 », décla­rait alors le PDG, en réfé­rence à l’article de la consti­tu­tion espa­gnole qui a pla­cé la Catalogne sous la tutelle de Madrid. 

Objectif double pour le Premier ministre. D’abord, sa visite devait per­mettre de stop­per toute vel­léi­té de nou­veau boy­cott en ras­su­rant les clients espa­gnols. En défen­dant un colosse de l’éco­no­mie cata­lane, il a adou­ci par là même sa figure auto­ri­taire et sa répu­ta­tion de refu­ser tout dia­logue avec les Catalans. « C’était une tac­tique poli­tique », com­mente Josep Maria Ribas, le maire indé­pen­dan­tiste de Sant Sadurni. « Il est venu par­ler aux Espagnols, pas aux Catalans », déplore le quin­qua­gé­naire, qui entame son deuxième mandat.

Sant Sadurní d’Anoia, 20 février 2018. Josep Maria Ribas, maire indé­pen­dan­tiste, se pré­sente fiè­re­ment devant l’hô­tel de ville. ©Emilie Duhamel

Peu avant le réfé­ren­dum, Freixenet avait mena­cé de délo­ca­li­ser son siège fis­cal hors des terres cata­lanes avant de se ravi­ser. Son concur­rent direct, Codorniu, lui, a fran­chi le pas et démé­na­gé deux semaines après le réfé­ren­dum à Haro, dans la région de la Rioja, au nord de la pénin­sule ibé­rique. Son siège fis­cal uni­que­ment : vignes, bâti­ments et main d’oeuvre demeurent encore dans la val­lée. Entre octobre et décembre 2017, un total de 3 004 entre­prises – tous sec­teurs confon­dus – ont enta­mé les démarches pour délo­ca­li­ser en dehors de la Catalogne.

Également comp­table chez Freixenet, Josep Maria Ribas n’est pas inquiet pour sa com­mune mal­gré les doutes des deux empires du cava. « Ils ne vont pas arra­cher la vigne », s’amuse-t-il. La taxe fon­cière (IBI), due par chaque pro­prié­taire ter­rien, et la taxe sur les acti­vi­tés éco­no­miques (IAE), payées par les entre­prises dont le chiffre d’affaire dépasse le mil­lion d’eu­ros, sont deux impôts dus à la muni­ci­pa­li­té qui conti­nuent d’être ver­sés par Codorniu mal­gré son déménagement. 

« Pour l’instant », s’inquiète Carles Jimenez, le conseiller muni­ci­pal d’opposition. L’unioniste convain­cu estime que le chan­ge­ment d’adresse fis­cale d’une des plus impor­tantes entre­prises de la ville sera sui­vi d’une délo­ca­li­sa­tion d’une par­tie de ses 800 employés. « Une très petite por­tion », certes. Probablement les membres de la direc­tion. Carles Jimenez pointe néan­moins que ces emplois poten­tiel­le­ment délo­ca­li­sables, inté­grés au cal­cul de l’IAE, entrai­ne­raient auto­ma­ti­que­ment une baisse des reve­nus de la com­mune. « 5 000 euros, c’est impor­tant : c’est une nou­velle machine de net­toyage des voi­ries en moins. »

« Un doigt d’honneur à l’Espagne »

Chemise élé­gante, che­veux gris rabat­tus en arrière et un rasage de près : Manel Vilanova, 56 ans, se pré­sente comme entre­pre­neur. Auparavant, il a diri­gé des salons d’esthétique, une socié­té de par­quet et une entre­prise de BTP. Ni vigne­ron, ni pro­duc­teur, ce Catalan d’origine s’est lan­cé dans le cava en décembre der­nier avec sa propre cuvée : le cava Puigdemont. 

Les bulles, mises sur les mar­ché juste avant le pic de ventes de Noël, rendent hom­mage à l’ex-président indé­pen­dan­tiste de la Catalogne, exi­lé à Bruxelles depuis la tenue du réfé­ren­dum. Cette « marque », Manel Vilanova l’a fon­dée pour « le busi­ness » et « pour faire un doigt d’honneur à l’Espagne ». Fanfaron, il se marre : « Les indé­pen­dan­tistes trouvent que c’est une bonne idée, les unio­nistes me traitent de fils de pute. »

Vilafranca del Penedès, 19 février 2018. En lan­çant sa cuvée Puigdemont, Manel Vilanova surfe sur la pas­sion indé­pen­dan­tiste cata­lane. ©Emilie Duhamel

Ce pro­jet inso­lite lui est venu en regar­dant la télé­vi­sion, sur­pris par une publi­ci­té van­tant les mérites des liqueurs « Hijoputa » (fils de pute) et « Article 155 ». « Je me suis dis qu’ils ne pou­vaient pas faire ça et j’ai cher­ché ce que moi je pou­vais faire. » Bingo ! Manel Vilanova dépose le nom, crée les éti­quettes, débauche un pro­duc­teur pour rem­plir ses bou­teilles de pétillant et le tour est joué. La caisse de six bou­teilles est ven­due 64 € en Catalogne, un prix moyen sur le marché.

Au dos de la bou­teille, il est ins­crit qu’une par­tie des béné­fices est rever­sée à l’association cultu­relle pro-indépendance Òmnium Cultural. L’entrepreneur recon­naît qu’il s’agit d’un argu­ment de vente. « Si les gens voient Òmnium, ils vont ache­ter. Sinon, ils hésitent. » Et pour­tant, il ne leur a pas encore don­né un cen­time. « Pour l’heure, je ne suis pas ren­table. Je perds plus que je n’en gagne, se défend le busi­ness­man. Mais si tout se vend, oui, je vais leur ver­ser une par­tie de mon béné­fice. » Manel Vilanova refuse de dévoi­ler le nombre de bou­teilles pro­duites ou vendues.

Juste en-dessous de la men­tion « 100 % Catalan », on trouve le slo­gan « Probablement le meilleur du monde ». S’agit-il du cava ? Ou de Carles Puigdemont ? L’oeil mali­cieux, Manel Vilanova réplique : « Je laisse les clients faire fonc­tion­ner leur imagination. »

Travail enca­dré par Jean-Baptiste Naudet, Frédéric Traini et Cédric Rouquette.

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Rubrique : Vivre la criseMots-clés : indépendance, catalogne, Crise, Alcool, crise catalane, puigdemont, économie, agriculture, cava, penedès, vin, champagne

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