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Le média de la CFJ72 à Barcelone

Les associations indépendantistes à bout de nerfs

Violences poli­cières, arres­ta­tions, refus de dia­lo­guer… Les asso­cia­tions indé­pen­dan­tistes cata­lanes ne cessent de dénon­cer la « répres­sion »  de Madrid. Entre abat­te­ment et révolte, le monde asso­cia­tif tente de pour­suivre sa bataille.

Écrit par Claire Leys Enquête de Alice Raybaud et Claire Leys, à Barcelone
Publié le 2 mars 201820 mars 2018
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« Notre pre­mière menace, c’est la pri­son ! », lance Lucas*. Tout le monde acquiesce. Farouchement indé­pen­dan­tistes, les sym­pa­thi­sants des Comités de défense de la République (CDR) se retrouvent à la tom­bée de la nuit pour une assem­blée heb­do­ma­daire. Dès l’entrée dans le petit local asso­cia­tif du quar­tier d’Eixample à Barcelone, les condi­tions sont posées. « Si vous vou­lez res­ter ce soir, il faut que je demande la per­mis­sion de tout le monde ». Les membres du CDR se méfient. En cette période qua­li­fiée de « répres­sive » envers les Catalans pro-indépendance, ils s’estiment en dan­ger. Aucun nom ne sera donc men­tion­né, et pour les pho­tos, il fau­dra se pas­ser des visages.

Les par­ti­ci­pants se répar­tissent en petits groupes. Ce soir, l’assemblée assume une lourde res­pon­sa­bi­li­té, celle de redé­fi­nir la stra­té­gie des CDR. « Depuis la décla­ra­tion d’indépendance [le 10 octobre 2017, NDLR], on est dans le flou, chu­chote Javier*, pro­fes­seur aux Beaux-Arts de Toulouse, pour ne pas gêner le débat en cours. Cette situa­tion est tout sim­ple­ment inédite. C’est un moment rare dans une vie ! ».

Barcelone, 22 février 2018. Les sym­pa­thi­sants des Comités de défense de la République éta­blissent une nou­velle stra­té­gie de « lutte paci­fique ». ©Alice Raybaud

Depuis le réfé­ren­dum d’autodétermination du 1er octobre 2017, jugé illé­gal par Madrid, on trouve des CDR dans toute la Catalogne. Ces comi­tés se défi­nissent comme une alter­na­tive aux par­tis et asso­cia­tions indé­pen­dan­tistes déjà implan­tés.  Selon Javier*, la nais­sance des CDR est sal­va­trice en cette « période de crise ». Sans eux, Òmnium Cultural et l’Assemblée natio­nale cata­lane (ANC) auraient bien du mal à lut­ter. Ces asso­cia­tions – cultu­relle pour la pre­mière, poli­tique pour la seconde – struc­turent le mou­ve­ment indé­pen­dan­tiste depuis dix ans. Elles comptent res­pec­ti­ve­ment 100 000 et 80 000 sym­pa­thi­sants. Mais cela fait plus de 100 jours que leurs pré­si­dents, « les deux Jordi », comme on les appelle ici, sont empri­son­nés pour délit de sédition.

Barcelone, 20 février 2018. Au siège de l’ANC, les hom­mages à Jordi Sanchez, le pré­sident de l’as­so­cia­tion, abondent. ©Claire Leys

Le gou­ver­ne­ment de Madrid reproche à Jordi Cuixart (Òmnium Cultural) et Jordi Sanchez (ANC) d’a­voir per­tur­bé l’in­tervention de la police mili­taire lors d’une per­qui­si­tion à la Generalitat (l’administration publique de Catalogne) le 20 sep­tembre 2017. Offusqués par ces déten­tions, les sym­pa­thi­sants tentent de pour­suivre leurs actions paci­fiques, dans une ambiance plus que morose. « Soit on est à genoux, soit on va en pri­son », résume Francesc Bellavista, le secré­taire géné­ral de l’ANC, avec un sou­rire triste.

https://twitter.com/jom1408/status/956279967243034626

Jordi Cuixart (à gauche) et Jordi Sanchez (à droite) sont empri­son­nés près de Madrid. Les indé­pen­dan­tistes s’emparent des rues, mais aus­si des réseaux sociaux, pour récla­mer leur libération.

De leur côté, les CDR ont opté pour une “non-organisation” reven­di­quée. Ici, pas de hié­rar­chie, pas de siège, pas de sta­tut. « L’objectif de la répres­sion, c’est d’identifier les lea­ders des mou­ve­ments sociaux et de les empri­son­ner pour affai­blir leurs asso­cia­tions, estime Lucas*, membre de la pre­mière heure du comi­té et cher­cheur à l’université. Et c’est ce qui est arri­vé aux Jordi ». La créa­tion des CDR est sur­ve­nue comme une réponse ins­tinc­tive à cette situa­tion « d’urgence et de dan­ger » décrite par les indé­pen­dan­tistes. « Face aux vio­lences – je vous rap­pelle qu’il y a eu près de 1000⑴ bles­sés à cause de la police après le réfé­ren­dum – on avait besoin d’une thé­ra­pie de groupe pour com­prendre ce qui nous arri­vait, se sou­vient Javier*, en rabat­tant une longue mèche grise qui obs­true sa vue.  Au début, on s’est ras­sem­blé spon­ta­né­ment, sim­ple­ment pour dis­cu­ter de l’in­dé­pen­dance. Et puis on a vou­lu créer quelque chose de plus durable. C’est comme ça que sont nés les comités ».

Les Catalans ne sont pas des Talibans pour l’indépendance – Txell Bonet, journaliste et compagne de Jordi Cuixart

Augustin* rap­pelle les objec­tifs de la soi­rée, soi­gneu­se­ment consi­gnés sur un tableau blanc. Parmi eux, trou­ver une réponse aux « menaces » de l’État. Les idées fusent. « Là, on est en train de déter­mi­ner quelles actions on peut se per­mettre de mener sans se mettre en dan­ger », tra­duit Javier*. Mais quel dan­ger ? « Les arres­ta­tions !», lâche-t-il, comme une évi­dence. Le len­de­main, 14 membres des CDR seront arrê­tés après s’être enchaî­nés devant un tri­bu­nal de Barcelone. « Mais notre force à nous, c’est de ne pas avoir peur »,  pro­voque Lucas. 

 

Barcelone, 21 février 2018. Txell Bonet enchaîne les ren­contres poli­tiques et média­tiques pour faire entendre la voix de son com­pa­gnon, empri­son­né depuis octobre. ©Alice Raybaud

Elle non plus n’a pas peur. Txell Bonet, jour­na­liste bar­ce­lo­naise de 42 ans, court dans toute l’Espagne pour exi­ger la libé­ra­tion de son com­pa­gnon, Jordi Cuixart, le pré­sident d’Òmnium Cultural. ONU, Amnesty International, Union euro­péenne, Txell frappe à toutes les portes. « Mon bébé de 10 mois ne voit son père que 40 minutes par semaine, à tra­vers une vitre, confie-t-elle. C’est une période unique de notre vie qui est sacri­fiée ». Elle parle avec inten­si­té, ses grands yeux plan­tés dans ceux de ses inter­lo­cu­teurs. Txell fait par­tie de ces Catalans à la fois révol­tés et opti­mistes. « Les Catalans ne sont pas des Talibans pour l’indépendance. On veut juste que la démo­cra­tie fonc­tionne et que le peuple puisse don­ner son avis !» La jour­na­liste parle vite, elle a un mes­sage à déli­vrer.  « Je suis née l’année de la mort de Franco et quand j’étais petite, dans les mani­fes­ta­tions, on scan­dait : Liberté, Amnistie, Statut d’autonomie. Aujourd’hui, on demande la même chose ! C’est un bond en arrière, non ? »

On ne se bat pas pour la beauté de changer de drapeau mais pour proposer un réel projet social - Javier*, professeur aux Beaux-Arts de Toulouse

Si les CDR aiment leur répu­ta­tion de “nou­veau visage” de l’indépendantisme, les anciennes voix, elles aus­si, donnent encore ce qu’elles peuvent. Pour les écou­ter, il faut attendre que la nuit tombe et se rendre sur la Plaça del Rei, au cœur de Barcelone. Ce mer­cre­di soir, comme toutes les semaines depuis octobre, Òmnium Cultural et l’ANC orga­nisent un ras­sem­ble­ment. Les quelque 200 sym­pa­thi­sants viennent faire silence puis chan­ter pour exi­ger la libé­ra­tion des « pri­son­niers poli­tiques ». Une qua­li­fi­ca­tion juri­dique que rejette Anthony Sfez, cher­cheur à l’École des hautes études his­pa­niques et ibé­riques.  « Est pri­son­nier poli­tique celui qu’on empri­sonne pour ses convic­tions, explique le cher­cheur. Les lea­ders indé­pen­dan­tistes cata­lans sont enfer­més pour avoir orga­ni­sé des actions illé­gales. Mais bien sûr, on peut esti­mer que ces déten­tions sont excessives ». 

Chants, lec­tures… Ecoutez la manifestation :

Montserrat, Aurora, Helena et les autres mani­fes­tants se fichent bien des qua­li­fi­ca­tions juri­diques. Tous ou presque arborent un ruban jaune sur leur veste, en signe d’in­di­gna­tion. Lorsque les chants cata­lans, doux et solen­nels, reten­tissent sur la petite place, un vieil homme sort un mou­choir en tis­su pour essuyer la larme fur­tive qui glisse sur sa joue. « Tout le monde est triste en ce moment. L’injustice est immense, lâche Aurora, 59 ans, les yeux rou­gis. On enferme des gens paci­fistes comme s’ils étaient des cri­mi­nels, c’est insupportable ! »

« Obtenir l’indépendance, ça me paraît impossible » – Helena, militante

A la fier­té d’être là se mêle un sen­ti­ment d’impuissance, à la cha­leur des voix chan­tantes s’ajoute une fatigue latente… Traits tirés, mines ren­fro­gnées, on décèle sur ces visages les semaines de lutte qui se suivent et se res­semblent. « Le gou­ver­ne­ment de Madrid ne nous écoute pas. Mais on conti­nue, parce qu’on sait qu’on est comme un petit caillou dans leur chaus­sure. On les dérange ! », assure Montse Gracia, indé­pen­dan­tiste depuis quelques années seulement. 

Un petit caillou qui dérange, mais qui ne fait pas bou­ger grand-chose, admet­tront les moins opti­mistes. Les anciens ministres cata­lans et membres de la socié­té civile empri­son­nés pour sédi­tion ne sont tou­jours pas jugés. Quant aux négo­cia­tions espé­rées avec le gou­ver­ne­ment cen­tral au sujet de la décla­ra­tion d’indépendance, elles se font attendre. Face à ce flou géné­ral sur l’avenir de la région, dif­fi­cile de pour­suivre la lutte avec fer­veur et optimisme. 

Pourtant, quand on demande à Montse Oliveras, 56 ans, si le mou­ve­ment s’es­souffle, elle hausse le ton : « On n’a pas besoin de moti­ver les gens pour qu’ils viennent chaque semaine, c’est eux qui en res­sentent le besoin ! C’est une période si dure et si excep­tion­nelle qu’on ne peut pas res­ter tran­quille­ment chez soi », peste-t-elle. « Notre seule arme, c’est notre voix… Et on compte bien l’utiliser ».

Barcelone, 21 février 2018. Les chants cata­lans occupent une place impor­tante pen­dant les ras­sem­ble­ments. Certains sont héri­tés de l’époque fran­quiste. ©Alizée Vincent

Helena, 20 ans, ne par­tage pas l’avis de son aînée. Selon elle, beau­coup d’indépendantistes, notam­ment les jeunes, ont per­du espoir.  « Obtenir l’indépendance ça me paraît impos­sible, avoue l’étudiante en sciences poli­tiques. Le gou­ver­ne­ment espa­gnol essaie de nous dis­sua­der de pro­tes­ter. Moi je suis frus­trée, mais sur­tout triste. En fait, je ne sais plus quoi faire ».

Malgré leur esprit com­ba­tif, les asso­cia­tions indé­pen­dan­tistes sont bel et bien affai­blies. Dans les locaux des asso­cia­tions his­to­riques, les mili­tants s’affairent der­rière leur écran d’ordinateur et affichent de larges sou­rires. Ils cachent tant bien que mal le malaise ambiant. À Òmnium Cultural, l’emprisonnement de Jordi Cuixart a été un choc. Le pré­sident conti­nue d’occuper ses fonc­tions, depuis sa cel­lule. « Mainte­nant, on oriente nos actions vers le res­pect des droits humains, résume Elena Jiminez, une des membres de la direc­tion. Pourtant, notre rôle ini­tial, c’est sim­ple­ment de pro­mou­voir la culture cata­lane : notre langue, nos auteurs, notre his­toire ! On a dû se repen­ser et apprendre à tra­vailler avec un pré­sident empri­son­né. On est tous affec­té émo­tion­nel­le­ment par cette situa­tion inex­pli­cable ».

Barcelone, 21 février 2018. Elena Jiminez tra­vaille à Òmnium Cultural. Elle l’a­voue : l’as­so­cia­tion tra­verse une période extrê­me­ment dure. ©Claire Leys

« J’étais beau­coup plus libre avant, confie Francesc Bellavista, le secré­taire géné­ral de l’ANC. Aujourd’hui, je n’ai plus le temps de rien. Je n’arrive même plus à me concen­trer pour lire des romans, ma tête est acca­pa­rée par cette situa­tion, 24 heures sur 24 ! » Reste que le nombre d’adhérents, à l’ANC comme à Òmnium Cultural, ne cesse d’augmenter. Francesc est caté­go­rique : « La volon­té d’obtenir l’indépendance, ce n’est pas comme la fièvre, elle ne peut pas retom­ber. On n’arrête pas un peuple ! »

* Les noms ont été modi­fiés, à la demande des per­sonnes interrogées.

⑴ 893 per­sonnes ont reçu une assis­tance médi­cale en rai­son des actions de la police espa­gnole, selon le minis­tère de la Santé catalan.

Travail enca­dré par Cédric Rouquette, Cédric Molle-Laurençon, Alain Salles et Fabien Palem.

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Rubrique : Vivre la criseMots-clés : indépendance, catalogne, barcelone, #ANC, catalan, indépendantisme, jordi sanchez, jordi cuixart, omnium, associations, Omnium Cultural, Assemblée nationale catalane, CDR, Txell Bonet

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