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Le média de la CFJ72 à Barcelone

Catalogne : une crise, deux langues pour l’alimenter

En Catalogne, le cata­lan et le cas­tillan sont les deux langues offi­cielles et uti­li­sées dans la vie sociale. Mais le bilin­guisme est mal­me­né par les ten­sions qui tra­versent la socié­té depuis le réfé­ren­dum sur l’indépendance de la région. Plongée dans une famille bilingue, pour qui des situa­tions jus­qu’i­ci banales deviennent plus délicates.

Écrit par Camila Giudice Enquête de Camila Giudice et Romane Ganneval, à Barcelone
Publié le 5 mars 201821 mars 2018
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Loin de l’agitation tou­ris­tique du centre de Barcelone, le quar­tier de Sarria Sant Gervasi s’étend dans un dédale d’habitations et de petits com­merces. Ni cars de voya­geurs, ni grandes enseignes éclai­rées au néon. A l’heure du déjeu­ner, des enfants cha­hutent sur une place, alors que des per­sonnes âgées dis­cutent à l’ombre des arbres. Dans une rue adja­cente, un immeuble en briques brunes élève ses six étages. Sur le toit, une pis­cine. Dans la cour, un ter­rain de sport bétonné.

Patricia Sospedra Martinez sort de la rési­dence en pous­sant la porte vitrée. Cheveux châ­tains tirés en arrière, lunettes mon­tées de bleu, la quin­qua­gé­naire allume une ciga­rette. Psychologue dans une école pour enfants mal­trai­tés, Patricia est née à Sarria Sant Gervasi. Elle a tou­jours vécu dans le quar­tier et semble chez elle à chaque coin de rue. Les saluts avec les com­mer­çants et les pas­sants fusent.

Elle ne dit pas bon­jour à tout le monde de la même façon. « Bon dia » à la pois­son­nière du Mercat de la Llibertat (Marché de la Liberté) où elle se four­nit en pro­duits frais, « Buenos dias » à la ser­veuse du café où elle a ses habi­tudes. Deux « bon­jour » et deux langues dif­fé­rentes. Le pre­mier est en cata­lan, le second en cas­tillan, sa langue maternelle.

En Catalogne, cette agi­li­té lin­guis­tique est consi­dé­rée comme « nor­male ». Les deux langues coexistent et rythment la vie quo­ti­dienne des 7 500 000 habi­tants de la région. Jusqu’au XXème siècle, le cata­lan était la langue des quar­tiers popu­laires. Le cas­tillan, celle des repré­sen­tants de la monar­chie. La donne change à la fin des années 1890, avec une pre­mière vague d’immigration de tra­vailleurs venus d’autres régions de l’Espagne. Ils s’installent dans les zones indus­trielles de Catalogne. Le cas­tillan se mue alors en langue popu­laire, et les inter­ac­tions entre cata­lo­phones et cas­tilla­no­phones se font de plus en plus fréquentes. 

Pendant la dic­ta­ture natio­na­liste de Franco (1936−1975), l’u­sage du cata­lan est for­te­ment répri­mé, et celui du cas­tillan, impo­sé dans la région. La tran­si­tion démo­cra­tique qui accom­pagne la chute du régime per­met aux deux langues de retrou­ver une exis­tence commune.

Barcelone, 22 février 2018. Patricia et sa fille, Maria, échangent en cas­tillan. ©Camila Giudice

La langue, affaire publique

Mais depuis le réfé­ren­dum sur l’indépendance de la Catalogne du 1ᵉʳ octobre der­nier, la situa­tion s’est ten­due. La langue est deve­nue un sujet épi­neux, vu par cha­cun des deux camps, indé­pen­dan­tiste et unio­niste, comme l’étendard de l’autre. Dans la famille de Patricia, on en a fait l’expérience ces der­niers mois. « Avec ma soeur Andrea, nous avons fêté le Nouvel An à Madrid, raconte Maria, sa fille. Dans la rue, nous par­lions en cata­lan, et des Madrilènes nous ont prises à par­tie. Pour eux, par­ler cata­lan, c’était sou­te­nir haut et fort l’indépendance. »

A l’inverse, le cas­tillan peut être per­çu à Barcelone comme la langue des unio­nistes, oppo­sés à l’indépendance. « Le jour du réfé­ren­dum, j’ai eu peur dans la file quand Maria et Patricia par­laient en cas­tillan, confie Oriol, son mari. Peur que les esprits s’échauffent. » Le rac­cour­ci entre usage du cas­tillan et unio­nisme est pour­tant trop rapide : la famille a voté en faveur de l’indépendance de la région.

En Catalogne, la langue n’est pas une affaire pri­vée, mais publique. « Sous Franco, le cata­lan était per­sé­cu­té, dia­bo­li­sé même, détaille Thomas Jeffrey Miley, pro­fes­seur de socio­lo­gie poli­tique à l’Université de Cambridge et spé­cia­liste de la Catalogne. Après sa mort, en 1975, le gou­ver­ne­ment régio­nal – la Generalitat - s’est appli­qué à pro­mou­voir le cata­lan, quitte à être accu­sé d’exclure le castillan. »

Si la socié­té est bilingue, les dis­pa­ri­tés lin­guis­tiques entre les régions sont fortes, pour­suit le socio­logue. « Dans les cam­pagnes et les vil­lages, le cata­lan est la langue domi­nante. A Barcelone et dans sa vieille ban­lieue indus­trielle, c’est le cas­tillan. » Quartier à l’origine popu­laire, avec une impor­tante popu­la­tion immi­grée, Sarria Sant Gervasi fait par­tie des zones majo­ri­tai­re­ment castillanophones.

La situa­tion lin­guis­tique est très variée selon les régions en Catalogne. ©Camila Giudice

Le feuilleton Dallas comme école du catalan

Les parents de Patricia viennent tous deux du Sud de la pénin­sule ibé­rique. Sa mère est née à Séville, son père à Cadix, près du détroit de Gibraltar. « A la mai­son, on par­lait cas­tillan, explique-t-elle. A l’école aus­si. Sous Franco, le cata­lan n’était par­lé que dans l’intimité. » La chute du gou­ver­ne­ment mili­taire en 1975 entraîne un retour pro­gres­sif du cata­lan dans les classes. Mais pour la géné­ra­tion de Patricia, son ensei­gne­ment reste très limi­té. « Une heure par semaine. En com­pa­rai­son, j’étudiais le fran­çais trois heures par semaine. »

Le cata­lan s’apprend sur­tout dans la rue et la cour de récréa­tion. C’est un argot propre à Barcelone, qu’elle parle avec un accent anda­lou. La télé­vi­sion va lui per­mettre d’apprendre la langue de façon plus for­melle. « Grâce à Dallas ! On pou­vait voir la série en cas­tillan ou en cata­lan, selon les chaînes. »

Aujourd’hui, Patricia pra­tique les deux langues avec la même aisance, pas­sant de l’une à l’autre afin de s’adapter à son inter­lo­cu­teur. « On repère rapi­de­ment quelle langue uti­li­ser avec qui. C’est une ques­tion d’éducation et de res­pect, pour faci­li­ter l’échange. Puis quand on prend l’habitude de par­ler une cer­taine langue avec une per­sonne, on la garde. »

C’est notam­ment le cas avec son mari. Elle a ren­con­tré Oriol à l’âge de 18 ans. Le jeune homme vient d’une famille cata­lane, mais ils échangent alors en cas­tillan car le cata­lan de Patricia est encore bal­bu­tiant. Trente-cinq ans plus tard, ils n’ont pas chan­gé de langue. « Ça ne serait pas natu­rel ! » s’exclame-t-elle. Ils ont tou­te­fois déci­dé d’élever leurs jumelles, Maria et Andrea, de façon bilingue. Patricia leur parle en cas­tillan, Oriol en catalan.

Autour de la table de la cui­sine, dans l’appartement fami­lial, les deux langues finissent par se mêler. « On peut com­men­cer une phrase en cas­tillan et la finir en cata­lan sans vrai­ment s’en rendre compte » explique Maria. « Nos oreilles se sont habi­tuées, par­fois je ne dis­tingue même plus quelle langue j’entends » ajoute sa mère.

Patricia explique les dif­fé­rences entre le cata­lan et le castillan :

« Mauvaise foi »

Si le bilin­guisme est natu­rel chez les Sospedra Martinez, la ques­tion de la langue est main­te­nant « ins­tru­men­ta­li­sée par la classe poli­tique » selon Thomas Jeffrey Miley, socio­logue à l’Université de Cambridge. Joaquim Coll for­mule cette accu­sa­tion vis-à-vis des diri­geants cata­lans. Il est his­to­rien et ancien vice-président de la Societat civil cata­la­na (Société civile cata­lane), une orga­ni­sa­tion oppo­sée à l’indépendance. « Après la dic­ta­ture, la Generalitat a vou­lu “nor­ma­li­ser” la langue cata­lane, explique-t-il. Mais les natio­na­listes ne sou­haitent pas nor­ma­li­ser la langue, ce qu’ils veulent, c’est une socié­té mono­lingue en catalan ! »

Dans le sta­tut d’autonomie de la région, en vigueur depuis 1979, la loi indique que « le cata­lan est la langue propre de la Catalogne. » Elle ajoute qu’il est, avec le cas­tillan, la langue offi­cielle de la région. Cette dis­tinc­tion entre langue propre et langue offi­cielle fait bon­dir Joaquim Coll : « Dire que le cata­lan est la langue “propre” de la Catalogne… est-ce que cela veut dire que le cas­tillan est une langue impropre ? Une langue étrangère ? »

Côté indé­pen­dan­tistes, le cas­tillan est bel et bien vu comme une langue sinon étran­gère, au moins colo­niale. Pour Xavier Vila, pro­fes­seur en lin­guis­tique à l’Université de Barcelone et fervent défen­seur de l’indépendance, « la langue cata­lane n’est peut-être plus per­sé­cu­tée aujourd’hui mais elle est mise dans une posi­tion secon­daire par l’Etat espa­gnol. Récemment, une pro­po­si­tion de loi a été dépo­sée à Madrid pour que les fonc­tion­naires des ter­ri­toires ne soient pas obli­gés d’en connaitre la langue ! »

Le lin­guiste n’hésite pas à com­pa­rer l’Etat espa­gnol, qu’il soup­çonne de cher­cher à impo­ser par tous les moyens le cas­tillan en Catalogne, à l’Allemagne occu­pant l’Alsace et la Lorraine après la guerre franco-prussienne de 1870 : « C’est un régime auto­ri­taire, qui essaye de faire en sorte que la popu­la­tion s’assimile et adopte la culture, la langue qu’il veut. »

Dans les deux camps, l’argumentaire est iden­tique. Chacun dénonce le « supré­ma­cisme » de l’autre, et sa ten­ta­tive de mani­pu­ler l’opinion publique et d’instrumentaliser la ques­tion de la langue pour arri­ver à ses fins. 

Chez les Sospedra Martinez, on assiste rési­gné à la bataille. « Les indé­pen­dan­tistes, les unio­nistes… Tous mani­pulent la ques­tion de la langue, tous sont de mau­vaise foi » estime Oriol en haus­sant les épaules. La famille est una­nime : rien ne chan­ge­ra. La Catalogne ne devien­dra pas indé­pen­dante dans les pro­chains mois. « Puis dans quelques années, pro­phé­tise Patricia, quand la situa­tion se sera un peu cal­mée, un gou­ver­ne­ment régio­nal moins modé­ré orga­ni­se­ra à nou­veau un réfé­ren­dum, et on revi­vra la même chose ! » Mais, selon eux, les habi­tants de la région conti­nue­ront quoi qu’il en soit d’u­ti­li­ser le cata­lan et le cas­tillan à leur conve­nance. « C’est deve­nu une habi­tude pour trop de monde. »

Travail enca­dré par Jean-Baptiste Naudet, Fabien Palem, Cédric Rouquette et Cédric Molle-Laurençon.

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Rubrique : Des mots qui comptentMots-clés : catalogne, barcelone, catalan, langue, castillan, bilinguisme

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