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Le média de la CFJ72 à Barcelone

Les vilains petits supporters barcelonais

Rivaux sur le ter­rain, le FC Barcelone et l’Espanyol véhi­culent des sen­si­bi­li­tés poli­tiques dif­fé­rentes. Quand le pre­mier sou­tient la cause indé­pen­dan­tiste, son voi­sin pré­fère res­ter neutre. Mais des sup­por­ters des deux camps ont des cas de conscience.

Écrit par Robin Richardot Enquête de Robin Richardot et Maxime Ducher à Barcelone
Publié le 6 mars 201815 mars 2018
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Cela fai­sait plus de qua­rante ans que Joan était un fidèle abon­né de l’Espanyol Barcelone. Lundi, il a rési­lié son abon­ne­ment. La veille, cet homme de 64 ans, accom­pa­gné de son petit-fils, s’est fait agres­ser au stade Cornellà, l’antre de son club de cœur. La rai­son ? Il avait sor­ti un dra­peau indé­pen­dan­tiste. Officiellement, l’Espanyol Barcelone est res­té neutre sur la ques­tion de l’indépendance en Catalogne. Pourtant, insultes et menaces sont le quo­ti­dien de la frange indé­pen­dan­tiste des péri­cos, sur­nom des sup­por­ters de l’Espanyol.

A six kilo­mètres de là, d’autres sup­por­ters sont confron­tés à la dure réa­li­té du “déca­lé poli­tique”. Tout autour du Camp Nou, l’enceinte du FC Barcelone, les dra­peaux indé­pen­dan­tistes – ou este­la­das en ver­sion ori­gi­nale – sont par­tout. Les ban­de­roles « Llibertat ! » pro­testent contre la déten­tion de diri­geants poli­tiques cata­lans. Les éten­dards espa­gnols, eux, se font très dis­crets. L’ambiance est à la fête. Le Barça reçoit Gérone. C’est le grand retour du der­by cata­lan en pre­mière divi­sion. Ou plu­tôt le der­by des indé­pen­dan­tistes. « Independencia ! Independencia ! », crie tout le stade à la 17e minute et 14 secondes du match, comme à chaque ren­contre à domi­cile. Une réfé­rence au 11 sep­tembre 1714, jour où Barcelone est tom­bée face aux troupes de Philippe V d’Espagne.

Le drapeau, objet de discorde

Dans un Camp Nou acquis aux indé­pen­dan­tistes, les sup­por­ters unio­nistes du FC Barcelone n’ont pas d’autre choix que de se taire. Sixto Cadenas est le fon­da­teur de l’association appe­lée « la Penya Blaugrana per la Concordia » (Association des Bleu et Grenat pour l’harmonie). Représentant de la Société civile cata­lane, une asso­cia­tion unio­niste, mais sur­tout membre du FC Barcelone depuis de nom­breuses années, il déplore le posi­tion­ne­ment poli­tique de son club de coeur. « Ça me dérange pour deux rai­sons, avance-t-il. La pre­mière, ça mène à une dérive séces­sion­niste. Et deuxiè­me­ment, je n’aime pas qu’un club de foot­ball serve de relais d’une opi­nion poli­tique quelle qu’elle soit. Elle ne repré­sente ni la majo­ri­té des membres, ni la majo­ri­té des sup­por­ters. » Avant de rap­pe­ler que même cer­tains indé­pen­dan­tistes ne sont pas d’accord avec l’utilisation poli­tique du Camp Nou. 

Cornellà, 18 février 2018. Oscar et Montse devant le stade de l’Espanyol. L’un arbore un ruban jaune, l’autre un badge en sou­tien aux diri­geants de la Catalogne empri­son­nés. ©Robin Richardot

Chez le grand rival de l’Espanyol, cer­tains sup­por­ters envient la facul­té des voi­sins bar­ce­lo­nais de défendre leurs idées dans le stade. Montse Tordera l’assure : envi­ron 40 % des membres de l’Espanyol sont indé­pen­dan­tistes. « Mais ce sont les unio­nistes qu’on voit le plus dans les gra­dins avec leurs dra­peaux espa­gnols », souffle cette péri­ca de 36 ans qui suit l’équipe depuis ses onze ans. Ancienne membre du conseil d’administration du club, elle ne com­prend pas le silence de l’Espanyol sur la crise cata­lane. Oscar Pitarch, pré­sident d’une asso­cia­tion de sup­por­ters péri­cos, va dans le même sens. Lui est abon­né depuis 1970. « Le club se veut neutre mais ici, il ne peut pas y avoir de neu­tra­li­té », s’emporte-t-il.

Le drapeau du Barça et de la Catalogne : c’est ça qui nous unit – Jesus Ruiz, supporter du Barça

Pour Jesus Ruiz, le vrai pro­blème, ce sont les dra­peaux dans le stade. « Qu’il y ait des dra­peaux cata­lans au Camp Nou, ça ne me gêne pas. Au contraire, assure cet avo­cat membre du club depuis dix ans. Mais pas des dra­peaux indé­pen­dan­tistes. Le dra­peau du Barça et de la Catalogne : c’est ça qui nous unit. »

Du côté de l’Espanyol, l’enjeu, c’était de ne bran­dir que du blanc et bleu, les cou­leurs du club. Une timide cam­pagne lan­cée il y a quelques années pour atté­nuer les ten­sions dans le stade. Officiellement, tous les dra­peaux sont auto­ri­sés tant qu’ils n’instrumentalisent pas le logo de l’Espanyol. « Pendant quatre matches, je n’ai sor­ti que le dra­peau aux cou­leurs du club, se sou­vient Montse. Mais quand Gérone est venu jouer à Cornellà, j’ai déci­dé de reprendre le dra­peau indé­pen­dan­tiste. Nous étions les seuls à res­pec­ter le pacte. Dans le stade, il n’y avait alors que des dra­peaux espa­gnols. »

Le besoin de ne pas se sen­tir iden­ti­fié aux unio­nistes a mené des sup­por­ters à créer un groupe. Anna M. et d’autres indé­pen­dan­tistes ont for­mé les “Péricos indé­pen­dan­tistes”, il y a huit ans. Aujourd’hui, il compte plus de 2 000 membres sur les réseaux sociaux. Professeure de phi­lo­so­phie et musi­co­lo­gie la semaine, Anna retrouve son sta­tut de pré­si­dente de ce col­lec­tif le week-end. « Nous avons créé ce groupe pour mon­trer que nous ne sommes pas seuls et qu’il y a beau­coup de péri­cos qui ne se sentent pas iden­ti­fiés à l’Espagne. »

Camp Nou, Barcelone, 24 février 2018. Une sup­por­trice agite un dra­peau du FC Barcelone. ©Robin Richardot

« Socialement, le club est mort »

Anna et son mari Gabriel vivent dans un petit vil­lage mon­ta­gneux du Lluçanès, une région du nord de la Catalogne. Pas de quoi, pour autant, les empê­cher de sou­te­nir leur club de cœur. Tous les quinze jours, ils font trois heures de route, aller-retour, pour se rendre au stade. Ce week-end, l’Espanyol a arra­ché le match nul contre Villarreal sur son ter­rain. Le coup franc éga­li­sa­teur ? Le tir des locaux sur la barre trans­ver­sale à la der­nière minute ? Anna a peut-être déjà oublié ces actions. Car une seule chose la pré­oc­cupe : l’agression du vieil homme dans les tri­bunes. « Le club est en train de perdre beau­coup  d’abonnés de longue date », déplore-t-elle. Avant de lan­cer : « Pour moi, socia­le­ment, le club est mort. »

Insultes, gestes dépla­cés, menaces de mort : voi­là ce qui attend les péri­cos indé­pés à chaque match. « “Vous n’êtes que des merdes !”, “Cassez-vous au Camp Nou !”, “On ne vous veut pas ici !”. Tout ça, c’est notre pain quo­ti­dien », rejoue Anna. Le seul moyen de se défendre pour ces sup­por­ters : enre­gis­trer la scène et ain­si mon­trer des preuves tan­gibles au club pour qu’il exclue l’agresseur, qui, sou­vent, ne vient pas pour le foot­ball. « L’Espanyol est deve­nu un bas­tion de per­sonnes qui aiment ou n’aiment pas le foot mais qui, au stade, peuvent expri­mer leurs idées poli­tiques en faveur de l’Espagne », pour­suit la pré­si­dente des Péri­cos indé­pen­dan­tistes. « Ces gens qui veulent se battre, je ne les consi­dère pas comme des péri­cos », ren­ché­rit Oscar. 

Vic, 20 février 2018. Anna M., pré­si­dente des Péricos inde­pen­den­tistes ©Robin Richardot

Anna ne sort plus jamais son dra­peau indé­pen­dan­tiste à l’extérieur du stade, par peur de repré­sailles. Mais elle se sent à peine plus confiante à l’intérieur de l’enceinte. Elle attend d’être assise, loin des sup­por­ters qui pour­raient l’intimider, pour sor­tir son éten­dard. Mais elle sait qu’en cas d’ennui, elle ne pour­ra pas néces­sai­re­ment comp­ter sur le per­son­nel char­gé de la sécu­ri­té. Elle raconte com­ment un sta­dier lui deman­dait sys­té­ma­ti­que­ment d’enlever son este­la­da du siège à côté d’elle car il occu­pait une place. Autour d’elle, pour­tant, une mul­ti­tude de sièges libres. « A dix mètres de moi, il y avait un groupe de gar­çons, avec un dra­peau espa­gnol. Il occu­pait six places. J’ai dû enle­ver mon dra­peau. Eux, jamais. »

Mais ce n’est pas le pire sou­ve­nir d’Anna en tant qu’indépendantiste de l’Espanyol. « Ce dra­peau n’a rien à faire ici, dans une Espagne catho­lique et romaine », lui a crié un jour un ultra-nationaliste. Cette mésa­ven­ture remonte à huit ans. Le club reçoit le grand FC Barcelone. Quelle meilleure occa­sion de bran­dir pour la toute pre­mière fois son dra­peau indé­pen­dan­tiste dans le stade de Cornellà ? « Un homme s’est appro­ché. Il devait avoir qua­rante ans, res­ti­tue Anna. Il n’avait aucun sym­bole de l’Espanyol, seule­ment une écharpe aux cou­leurs de l’Espagne. Il a mis le feu à mon dra­peau. Il m’a dit qu’ici, c’était l’Espagne.»

Equilibre et respect

Du côté du Camp Nou, Sixto Cadenas sait com­ment ne pas avoir de pro­blèmes : la fer­mer. « Nous les unio­nistes, nous nous tai­sons. On sup­porte les dra­peaux indé­pen­dan­tistes et on s’y habi­tue, relève Jesus Ruiz. Mais les unio­nistes devraient plus se faire entendre. »

Finalement, ces sup­por­ters du Barça, aus­si bien que les indé­pen­dan­tistes de l’Espanyol, ne sou­haitent qu’un peu plus d’équilibre et de res­pect dans leur club. « Que cha­cun pense ce qu’il veut, qu’il soit indé­pen­dan­tiste ou non, s’enthousiasme Sixto. Nous, on s’en moque. Tout ce qu’on veut, c’est que cette plu­ra­li­té soit res­pec­tée à l’intérieur du club. »

Cornellà, 18 février 2018. Un groupe de sup­por­ters de l’Espanyol se pré­pare avant le match contre Villarreal. ©Robin Richardot

Les fans de l’Espanyol com­prennent cette demande. « Quand je vais au stade, je ne regarde pas si le mec à côté est indé­pen­dan­tiste ou pas. Il est pour l’Espanyol et puis c’est tout », assène Oscar. « Si le mec à côté de moi sort le dra­peau espa­gnol, je dois le res­pec­ter, ajoute la pré­si­dente des Péricos indé­pen­dan­tistes. J’aimerais avoir le même res­pect quand je sors le dra­peau indé­pen­dan­tiste. Nous sommes tous des péri­cos. Nous devons nous res­pec­ter. » Son mari en pro­fite pour sor­tir son por­table. Il montre une pho­to des tri­bunes du Camp Nou. Un sup­por­ter bran­dit une ban­nière espa­gnole au milieu des ban­de­roles indé­pen­dan­tistes “Llibertat !”. « Tous ces gens qui tiennent une ban­de­role “Llibertat”, ils res­pectent tout le monde, commente-t-il. Ils se disent : “Putain, quel connard avec le dra­peau espa­gnol ! Mais bon, c’est son droit” et il ne se passe rien. A l’Espanyol, si tu sors une ban­de­role “Llibertat”, tu as des pro­blèmes. »

A jamais supporters ?

Alors si l’herbe est plus verte ailleurs, pour­quoi ne pas aller toquer à la porte du rival ? « Arrêter d’être péri­co ? Non. Jamais », rétorque Anna. C’est un non caté­go­rique aus­si pour Jesus. « Je suis ce club depuis tout petit, explique-t-il. Non seule­ment c’est l’équipe de ma Catalogne mais aus­si de ma ville, de mon quar­tier et même de ma rue puisque j’habite dans la rue du Camp Nou. Je ne l’abandonnerai jamais ». La preuve que le foot­ball a ses rai­sons que la poli­tique ignore. Mais aban­don­ner le club, c’est sur­tout le lais­ser aux mains des indé­pen­dan­tistes ou unio­nistes. Ce que Sixto refuse : « Je ne vais sûre­ment pas céder ce qui me pro­cure une satis­fac­tion per­son­nelle à un groupe qui s’obstine à impo­ser des idées poli­tiques que je ne par­tage pas ».

Tous n’ont pas la même volon­té. David M. a fran­chi le pas. Supporter assi­du des Blaugrana depuis petit, il se déso­li­da­rise peu à peu du club quand le pro­jet indé­pen­dan­tiste prend de l’importance. « Petit à petit, je suis allé au stade de l’Espanyol et petit à petit, je me suis pris d’affection pour ce club », confie-t-il. Il aban­donne alors le FC Barcelone, deve­nu une « arme poli­tique en faveur de l’indépendance » et rejoint le rival his­to­rique, neutre sur la ques­tion de la crise cata­lane et à la répu­ta­tion unioniste. 

Montse ne serait sûre­ment pas prête à faire le che­min inverse. Mais quand elle parle poli­tique, elle recon­naît qu’elle a un petit faible pour l’ennemi bar­ce­lo­nais. « Le Barça défend la Catalogne. Et je dois recon­naître que je suis plus fière de la manière dont se com­porte poli­ti­que­ment le Barça que l’Espanyol. » Avant de sou­rire : « Après, si le Barça peut perdre tous ses matches, ça me va très bien ! »  

Travail enca­dré par Alain Salles, Frédéric Traini, Cédric Rouquette et Cédric Molle-Laurençon.

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Rubrique : Vivre la criseMots-clés : indépendance, football, barcelone, Barca, unioniste, Espanyol, sport

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