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Le média de la CFJ72 à Barcelone

La ceinture rouge de Barcelone : un cran à droite

Peuplée par l’émigration inté­rieure, la péri­phé­rie de Barcelone est
majo­ri­tai­re­ment oppo­sée à l’indépendance de la Catalogne. Cette zone, appelée
his­to­ri­que­ment “la cein­ture rouge” pour ses choix élec­to­raux mar­qués à gauche,
se tourne désor­mais vers la droite pour résis­ter aux indépendantistes.

Écrit par Charlotte Rothea Enquête de Alexandre Malesson et Charlotte Rothéa, à Esplugues et Barcelone
Publié le 2 mars 201814 mars 2018
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« Deux de nos enfants sont pour l’indépendance. Notre pas­sé n’y change rien. » Mercedes et son mari, Manuel, sont d’origine anda­louse. En ce same­di 24 février, ils ont gagné la Plaça de Catalunya (Place de Catalogne) de leur ville, Esplugues, située à six kilo­mètres à vol d’oiseau du centre de Barcelone. Cette com­mune de 45 000 âmes fait par­tie de la comarque de Baix Llobregat, le ter­ri­toire qui entoure Barcelone. Les deux octo­gé­naires viennent y fêter, comme chaque année, le Día de Andalucía (la jour­née de l’Andalousie). Au pro­gramme, danses, chan­sons anda­louses et com­mu­nion autour d’un repas gra­tuit : les migas, spé­cia­li­té faite à l’o­ri­gine pour cui­si­ner les restes de pain sec. Une saveur de jeu­nesse pour Manuel et Mercedes. Cela fait cinquante-deux ans que ce couple fier de ses racines a quit­té le sud de l’Espagne pour rejoindre une terre alors en pleine indus­tria­li­sa­tion, la Catalogne.

Esplugues, 24 février 2018. Miguel et Mercedes se font ser­vir un repas tra­di­tion­nel anda­lou. ©Alexandre Malesson

Mais la ques­tion de l’indépendance divise aujourd’hui les Catalans d’origine et ces immi­grés venus de l’intérieur de l’Espagne (Andalousie, Castille, Galice ou encore la région de Murcie), atta­chés à l’unité du pays. « Notre inté­gra­tion était facile à l’époque, elle ne l’est plus aujourd’hui », raconte en cas­tillan Mercedes, qui a tra­vaillé dans le tex­tile à son arri­vée en Catalogne. Les mariés avaient pro­fi­té de la “grande trans­for­ma­tion” des années 1960–1970 : l’arrivée des usines Fiat (deve­nues Seat à la mort de Franco), le boom de la construc­tion… Le pour­tour de Barcelone attire sur 500 km² les entre­prises, et de fait, les petites mains. 

Esplugues, 21 février 2018. Francesc Castellana pré­serve avec sa fon­da­tion Utopia la mémoire de la cein­ture rouge. ©Charlotte Rothéa

L’immigration ouvrière fait bon­dir la popu­la­tion de la cein­ture rouge. Opposés à la dic­ta­ture, les tra­vailleurs, qu’ils parlent cas­tillan ou cata­lan, se ras­semblent sous la ban­nière com­mu­niste. « Fiers comme s’ils étaient dans la résis­tance », affirme Francesc Castellana, pré­sident de la fon­da­tion Utopia. Lors de la lutte anti-franquiste (de 1970 à juin 1977), la région est dési­gnée par le régime dic­ta­to­rial comme for­mant la “cein­ture rouge”. Les ouvriers entendent défendre les liber­tés démo­cra­tiques, de meilleures condi­tions de vie et de tra­vail, mais aus­si le retour au sta­tut d’autogestion de la Catalogne en vigueur jusqu’en 1934. Dès les pre­mières élec­tions sui­vant la mort de Franco, le 15 juin 1977, la gauche l’emporte dans les ban­lieues. Pour plu­sieurs décennies.

Une prise politique

Mais aux élec­tions régio­nales de décembre 2017, tsu­na­mi. Une vague orange sub­merge la cein­ture rouge (cartes inter­ac­tives ci-dessous). Le par­ti de centre-droit Ciudadanos (Citoyens), emme­né par Albert Rivera et Inés Arrimadas, conquiert les ban­lieues his­to­ri­que­ment socia­listes de Barcelone.

Barcelone, 22 février 2018. La dépu­tée socia­liste Esther Niubó recon­naît la défaite élec­to­rale de son par­ti. ©Charlotte Rothéa

Fait inédit : le Partit dels Socialistes de Catalunya (PSC, Parti des socia­listes de Catalogne) se retrouve en deuxième voire troi­sième posi­tion dans toutes ces muni­ci­pa­li­tés. C’était « le pre­mier objec­tif » de Ciudadanos, et ce dès les années 2000, affirme Antonio Robles, ancien membre du par­ti. Le bas­tion de la gauche que repré­sente la cein­ture rouge a voté pour un par­ti « de droite » qui ne dit pas son nom, selon le fon­da­teur du par­ti Unión, Progreso y Democracia (UPYD, Union du pro­grès et de la démo­cra­tie). « Un Partido popu­lar (PP, Parti popu­laire) moderne et qui maî­trise sa com­mu­ni­ca­tion », résume Esther Niubó, la dépu­tée socia­liste. Une sorte d’En marche ! à l’espagnole.

Ce résul­tat n’étonne pas Mercedes, qui, sans se dépar­tir de son sou­rire rose bon­bon, sou­tient que la ques­tion de l’in­dé­pen­dance a pesé lourd. Les élec­teurs ont été selon elle « désen­chan­tés » par le posi­tion­ne­ment du PSC. Dans sa com­mune, les socia­listes ont été cré­di­té de 20,81 % des voix, contre 32,56 % pour Ciudadanos. Esther Niubó recon­naît que son par­ti s’est mon­tré « conci­liant » envers les reven­di­ca­tions natio­na­listes. Sur la ques­tion fis­cale notam­ment : le PSC réclame une plus large auto­no­mie pour la Catalogne. Il rejoint ain­si l’argumentaire natio­na­liste, selon lequel la région donne plus à l’Etat cen­tral qu’elle ne perçoit. 

Barcelone, 21 février 2018. Pour Sonia Sierra Infante, dépu­tée Ciudadanos, les votes de la cein­ture rouge sont moti­vés par un ras-le-bol géné­ral. ©Kenan Augeard

A côté, l’opposition assu­mée de Ciudadanos répond mieux aux attentes des habi­tants, majo­ri­tai­re­ment contre l’indépendance. L’une des 32 dépu­tés oranges – ils étaient trois en 2006 -, Sonia Sierra Infante, confirme que « les votes [pour son par­ti] viennent sur­tout du Parti socia­liste ». Elle ana­lyse : « Les élec­teurs sont fati­gués par les reven­di­ca­tions indé­pen­dan­tistes, sur­tout les Espagnols. » La dépu­tée dis­tingue de façon lit­té­rale (mais pas seule­ment) les immi­grés venus d’autres régions d’Espagne des Catalans d’o­ri­gine.  « La peur de devoir retour­ner dans leur région d’origine a déclen­ché une réac­tion épi­der­mique », tra­duit Francesc Castellana, à l’initiative du film docu­men­taire El cin­turón rojo (2016), qui a recueilli le témoi­gnage oral de 33 émi­grés. Selon lui, l’in­cer­ti­tude face à une hypo­thé­tique indé­pen­dance frappe sur­tout « les tra­vailleurs ayant haus­sé leur niveau de vie ». 

Dans la queue pour se faire ser­vir à la louche les migas, tous s’accordent sur la rai­son prin­ci­pale de leur venue en Catalogne : « el tra­ba­jo » (le tra­vail). Ils ont fui la pau­vre­té, atti­rés par la richesse de la région – un cin­quième du PIB espa­gnol aujourd’hui. Quarante ans plus tard, selon les émi­grés, les Catalans ne veulent plus finan­cer les ter­ri­toires espa­gnols les plus pauvres. Difficile à accep­ter pour ceux qui ont contri­bué à cette pros­pé­ri­té éco­no­mique et « aim[ent] [leur] terre d’origine comme la Catalogne », reven­dique avec fier­té Estrella, venue avec ses amies au Día de Andalucía.

Terrain miné

L’année pro­chaine auront lieu les élec­tions muni­ci­pales. Pour l’instant, aucune mai­rie de la cein­ture rouge n’est aux cou­leurs de Ciudadanos. Mais la dépu­tée PSC Esther Niubo « a peur que cela puisse chan­ger ». Selon elle, entre cinq et dix villes – sur les trente que compte la cein­ture rouge – pas­se­ront à droite. Traditionnellement en Catalogne, les habi­tants votent dif­fé­rem­ment à l’échelle du pays et de leur ville. Leurs pré­oc­cu­pa­tions pre­mières concernent la san­té et l’éducation. Des thé­ma­tiques de gauche. Mais la ques­tion de l’indépendance, omni­pré­sente, pola­rise désor­mais le débat politique. 

Dans la comarque de Baix Llobregat, on n’étale pas ses convic­tions sur la place publique. Âgé seule­ment de cinq ans lorsqu’il foule pour la pre­mière fois le sol cata­lan, Juan José est aujourd’hui pré­sident de l’association cultu­relle anda­louse d’Esplugues. A pro­pos du suc­cès de sa fête, il avance fiè­re­ment le chiffre de 800 spec­ta­teurs. Mais à l’écart des odeurs de bar­be­cue, il évoque une « aggra­va­tion des rela­tions entre les cultures. » Le tabou se véri­fie : Matias, 77 ans, béret et convic­tions vis­sés sur le crâne, rechigne à don­ner son avis sur l’indépendance. Ouvrier dans la métal­lur­gie, puis employé d’une char­cu­te­rie, il est pour­tant volu­bile sur la culture anda­louse, ses chants et ses danses. Il conseille au couple for­mé par Mercedes et Manuel de ne pas trop se confier : « On ne sait pas où nos paroles vont atter­rir… » Pour toute réponse, le papi anda­lou lui tire la langue.

Esplugues, 24 février 2018. Marta, 30 ans, célèbre le « Día de Andalucía » avec ses amis d’en­fance. ©Alexandre Malesson

Les jeunes aus­si sont pré­sents sur la Plaça de Catalunya. Assis en cercle entre amis d’enfance, ils reven­diquent leurs tra­di­tions « incul­quées par leurs parents ». Marta, tren­te­naire, avoue n’utiliser le cata­lan qu’au tra­vail. L’avis des jeunes sur l’indépendance n’est pas dif­fé­rent de celui de leurs aînés, mais la trans­mis­sion du vote est plus ténue. L’attachement des colons de la cein­ture rouge au mou­ve­ment ouvrier, incar­né par les syn­di­cats, les par­tis com­mu­niste et socia­liste, n’est pas par­ta­gé par leurs enfants. Ciudadanos est une alter­na­tive d’autant plus ten­tante qu’elle est jeune elle aus­si, por­teuse d’un « pro­jet pro­gres­siste, libé­ral et euro­péen », vante leur dépu­tée Sonia Serria Infante. La for­ma­tion est de plus éloi­gnée des soup­çons de cor­rup­tion ayant enta­ché récem­ment les par­tis tra­di­tion­nels que sont le Parti popu­laire de Mariano Rajoy et le Parti socia­liste. Francesc Castellana, habi­tant de la ban­lieue depuis tou­jours, se désole : « La cein­ture rouge reflé­tait le contraire de ce qu’elle est désormais. »

Travail enca­dré par Alain Salles, Frédéric Traini, Cédric Rouquette et Cédric Molle-Laurençon.

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Rubrique : Rester espagnolMots-clés : catalogne, barcelone, Ceinture rouge, Andalousie, banlieue, unioniste

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