Dans le petit studio de Ràdio Arrels, on ne parle que catalan. C’est une règle d’or. Même hors antenne, les trois journalistes communiquent uniquement en catalan. Pourtant, si on a tendance à vite l’oublier, cette radio associative est basée à Perpignan. Derrière le studio, dans un bureau aux murs pastel délavés, Joan Becat, 76 ans, a accepté de nous parler en français. Il soulève des problématiques d’ici, en France, en Catalogne du Nord, territoire qui cherche son identité entre Paris et la Catalogne espagnole, appelée plus couramment « la Catalogne du Sud ». Joan Becat est professeur de géographie à l’Université de Perpignan et bénévole à Ràdio Arrels. Il s’indigne du manque de reconnaissance de la culture catalane française et du faible nombre de classes bilangues français/catalan dans les Pyrénées-Orientales, « alors qu’il y a de plus en plus de demandes ». « C’est l’Etat français qui bloque », martèle-t-il plusieurs fois. Ce blocage de l’État français n’est pas confirmé par un conseiller pédagogique d’études catalanes, mais le nombre d’élèves en classe bilangue a bien augmenté dans le département. « Dans les Pyrénées-Orientales, il y avait, en 2003, 980 élèves en primaire dans ces classes bilangues catalan/français. Il y en a aujourd’hui 3 000 », expose ce conseiller pédagogique. Pour Joan Becat, cette augmentation s’explique surtout par « la prise de conscience des parents de l’avantage d’être bilingue pour un enfant. »
Il est impossible de le couper. Joan Becat parle et parle sans pouvoir s’arrêter. « Vous ne trouvez pas que c’était trop risqué de la part de la Catalogne du Sud de demander l’indépendance au risque de perdre l’autonomie ? » La question ne lui convient pas. Il y répond d’un geste de la main. « Il faut remettre en doute tout ce que vous pensez savoir », lâche-t-il sèchement, avant de reprendre sur « la présence bien réelle » de l’identité catalane en France. Albert Noguer, 36 ans, président de la radio, boit tranquillement son café en retrait derrière Joan Becat. Amusé par autant d’engagement, il ne dit rien, le laisse parler.
Fondée en 1981, après la libération des ondes, Ràdio Arrels a décidé dès sa création de renoncer aux contrats publicitaires et d’être totalement catalanophone. « On est un outil au service de la langue et de la culture catalane », estime Albert Noguer. Il pense que la radio est « écoutée et connue », tout en reconnaissant que « ce serait dix fois plus facile si on faisait tout en français, notamment pour les reportages. » Impossible de connaître l’audience de la station, les derniers chiffres remontent à plus de dix ans.
Pour Aleix Renyé, fondateur de Ràdio Arrels, le problème est qu’en France, « le catalan a perdu son usage social. » « À Perpignan, personne ne parle catalan sur le marché, alors qu’à seulement quelques kilomètres, de l’autre côté de la frontière, c’est le cas », raconte-t-il. Jordi Pons Pujol, historien, explique que « la substitution linguistique » du catalan au français « apparaît entre 1945 et 1960 » en Catalogne du Nord. Pourtant, si l’usage social ne s’est pas maintenu, cela s’explique par des faits historiques plus anciens. « Au XIXème siècle, le nord de la France, où l’on parle français, représente le progrès industriel. Parler français devient donc un outil de promotion sociale et économique. » A l’inverse, à la même époque, « la Catalogne espagnole connait la révolution industrielle, contrairement au reste de l’Espagne. »
La culture catalane, « un côté folklorique »
Veste en cuir sur les épaules, lunettes des années 70 sur le nez, Louis Dagues, 20 ans, déambule dans les rues de Perpignan. Cet étudiant en histoire catalane nous montre les traces de la culture catalane dans sa ville natale. Epaules relâchées, pas lents, il est ici chez lui.
Louis Dagues s’arrête dans la rue de l’adjudant Paritilla, située dans le cœur historique de Perpignan, longue de cent mètres et composée de quelques commerces catalan.
À Perpignan, avec ces commerces, les panneaux des rues en catalan sont également des témoins de l’identité de la région. Pourtant, pour l’étudiant « la culture catalane a un petit côté folklorique. » « J’ai l’impression qu’il y a un espèce de malaise autour de l’identité catalane, comme si les gens ici se revendiquaient comme catalans à partir du moment où on leur demande », s’indigne-t-il. Louis Dagues pense que sa région a « le cul entre deux chaises ». « D’un côté, il y a les Catalans du Sud qui nous considèrent comme des Français et, de l’autre, il y a les Français qui nous considèrent comme des Catalans. » Selon le jeune homme, ce problème d’identité est lié à la langue. « Comment peux-tu dire “Je suis Catalan” alors que tout le monde parle français et que l’on fait des fautes quand on parle catalan ? » Pour illustrer ces propos, Louis Dagues explique qu’il voit des fautes d’orthographes sur des panneaux un peu partout en Catalogne du Nord. « La dernière faute que j’ai vue était sur un panneau à l’entrée d’Eus, un village à la montagne. »
Le rattachement à l’Espagne ? « Un rêve qui n’a aucune chance d’aboutir »
Au-delà de la culture et de la langue, la fracture entre les deux Catalognes est politique. Au Nord, aucune poussée indépendantiste, à l’inverse du Sud. Il existe bien des partis catalans en France : Unitat catalana et Oui au pays catalan. Leurs scores ne dépassent pas les 5 % aux élections locales comme nationales. Brice Lafontaine, 35 ans, ancien adjoint à la mairie de Perpignan, a présidé Unitat catalana de 2013 à 2017. Il appelle la population de la région à voter « pour que l’identité de la région soit enfin prise en considération. » Les partis catalans réclament le statut de collectivité territoriale unique pour les Pyrénées-Orientales – statut que vient d’obtenir la Corse. « Aujourd’hui, ça semble compliqué de nous écouter vu notre faiblesse politique », admet-t-il, entre deux gorgées de thé. C’est pour cette raison qu’à court terme, Brice Lafontaine souhaite d’abord « l’indépendance de la Catalogne du Sud », située en Espagne. Pour lui, cette indépendance permettrait une plus grande reconnaissance de la Catalogne du Nord, aux yeux de Paris comme aux yeux de Barcelone. Il précise que dans sa région, « l’indépendance ou le rattachement à la Catalogne du Sud ne sont pas à l’ordre du jour. » Il avoue toutefois que cela serait « un rêve » même s’il est bien conscient que « ça n’a pour l’instant aucune chance d’aboutir. »
La demande d’une plus grande reconnaissance de la culture catalane par Paris n’est pas partagée par tous les politiques de la région. Olivier Amiel, 39 ans, adjoint au maire chargé de la Politique de la ville de Perpignan, qualifie Brice Lafontaine de « doux rêveur ». « On est Français avant tout. Français avant d’être Catalan », assure-t-il.
Tous s’accordent pour dire qu’être Catalan représente une fierté à leurs yeux, surtout lorsqu’ils quittent leur région. Pour Louis Dagues, « le fait de se revendiquer Catalan, c’est un moyen de se faire reconnaître comme Français aux yeux des Français. Une façon de montrer qu’on existe ».
Travail encadré par Alain Salles, Henry de Laguérie, Cédric Rouquette et Cédric Molle-Laurençon.