Skip to content
  • Accueil
  • Qui sommes-nous ?
  • Dos à dos
  • Tu seras catalan
  • Rester espagnol
  • Des mots qui comptent
  • Vivre la crise
  • Mémoires
Societat

Societat

Le média de la CFJ72 à Barcelone

Terra Lliure, le groupe armé qui a permis l’explosion de l’indépendantisme catalan

Pendant deux décen­nies, l’organisation ter­ro­riste Terra Lliure a oeu­vré dans la clan­des­ti­ni­té pour faire chan­ger les men­ta­li­tés sur l’indépendantisme en Catalogne. Car dans les années 1980, la majo­ri­té des Catalans sou­hai­taient encore res­ter Espagnols, et les mili­tants sépa­ra­tistes étaient marginalisés. 

Écrit par Marie Daoudal Enquête de Marie Daoudal et Maryam El Hamouchi, à Les Borges Blanques
Publié le 6 mars 201814 mars 2018
•••

A Les Borges Blanques, dans la pro­vince cata­lane de Lérida, tout le monde connaît Albert Tarrats. Ce sep­tua­gé­naire au teint pâle et au regard per­çant est le pro­prié­taire d’un des bars les plus illustres de la ville, la “Cafétéria Slàvia”. Derrière le comp­toir déco­ré d’affiches pro-indépendance, il salue ses clients en cata­lan. Pour les jour­na­listes, l’homme est dif­fi­cile à appro­cher. Il refuse la plu­part des inter­views, se méfie des smart­phones et des enre­gis­treurs vocaux. Il y a quelques années, il ne se rap­pelle plus de la date exacte, il a été arrê­té par la police mar­seillaise « sans aucune rai­son ». Depuis, il soup­çonne les auto­ri­tés de l’avoir mis sous écoute.

Dans les années 1980, Albert était membre de l’organisation ter­ro­riste indé­pen­dan­tiste Terra Lliure (Terre Libre, en cata­lan). A l’époque, ce mou­ve­ment était implan­té dans toute la Catalogne, même s’il ne comp­tait pas plus de 200 membres et avait peu de sou­tiens dans la popu­la­tion. Ses par­ti­sans étaient plus radi­caux que les indé­pen­dan­tistes cata­lans d’aujourd’hui. Ils pré­co­ni­saient la vio­lence et pré­pa­raient leur actions dans la clandestinité.

Extrait du film Llavors de Llibertat, cala i le gene­ra­cio obli­da­da (Les graines de la liber­té, his­toire d’une géné­ra­tion oubliée), de David Andreu et Josep Sabaté

Autour de Lérida, à 200 kilo­mètres à l’ouest de Barcelone, une quin­zaine de mili­tants étaient actifs. Albert était l’un d’eux, même s’il affirme avoir agi « à la péri­phé­rie du mou­ve­ment ». Ses cama­rades et lui fai­saient tout pour mettre en avant l’in­dé­pen­dan­tisme cata­lan sur la scène média­tique. Leur mode opé­ra­toire : dépo­ser des explo­sifs dans des bâti­ments en lien avec l’Etat espa­gnol, comme les tri­bu­naux, les bureaux minis­té­riels et les postes de police, puis reven­di­quer le crime. En prin­cipe, les édi­fices devaient être vides pour évi­ter de tuer des civils. En tout, Terra Lliure a fait un mort et envi­ron 70 bles­sés dans plus de 200 atten­tats com­mis entre 1978 et 1995. « Beaucoup de vic­times ont eu les os cas­sés et des brû­lures » explique José Vargas, le pré­sident de l’Association cata­lane des vic­times des orga­ni­sa­tions ter­ro­ristes. « Certains s’en sont remis rapi­de­ment. Pour d’autres, ce n’est pas le cas. »

Bilan : un mort

“Terra Lliure inten­si­fie son action ter­ro­riste à la veille de la fête cata­lane”, La Vangardia, 11 sep­tembre 1987.

La nuit du 9 au 10 sep­tembre 1987, à deux pas de la “Cafétéria Slàvia”, deux jeunes de Terra Lliure font explo­ser le tri­bu­nal de Les Borges Blanques. La veuve d’un poli­cier espa­gnol, Emilia Aldomi Sants, 62 ans, meurt sur le coup. C’est l’unique décès lié au groupe armé, mais il a son impor­tance. « Devant le bâti­ment, la place était noire de suie, se rap­pelle Josep Domenech, le maire de l’é­poque. Il y avait des cendres par­tout. C’était vrai­ment triste. » Pour Albert, cet atten­tat était « stu­pide ». « Emilia était l’une des seules per­sonnes indé­pen­dan­tistes du vil­lage, cela n’avait aucun sens. » Les moti­va­tions der­rière ce crime ? Albert secoue la tête et garde le silence.  Il n’aime pas par­ler de l’at­ten­tat. « Je sais ce qui s’est pas­sé mais je ne veux pas en dire plus, sinon, je suis mort », assure-t-il. Les luttes internes au mou­ve­ment ont un rap­port avec le dra­ma­tique dérapage.

Communiqué de presse de Terra Lliure suite à l’at­ten­tat de Les Borges Blanques.

Peu après le drame, les membres de Terra Lliure ont publié deux com­mu­ni­qués où ils affir­maient que la mort d’Emilia était un « acci­dent lamen­table ». Carles Castellanos, un lin­guiste qui se décrit comme l’un des « idéo­logues » du mou­ve­ment, confirme cette ver­sion. Selon lui, Terra Lliure cher­chait avant tout à faire de la « pro­pa­gande armée » – média­ti­ser l’in­dé­pen­dan­tisme grâce à la vio­lence – en visant des bâti­ments vides. La mort de civils ne pou­vait qu’a­bî­mer l’i­mage de résis­tants que l’or­ga­ni­sa­tion sou­hai­tait ren­voyer aux jour­naux. Dans son annonce publique, le groupe ter­ro­riste s’est dit « pro­fon­dé­ment attris­té pour cette vic­time inno­cente. » Mais il a aus­si rap­pe­lé que « cette mort n’au­rait pas eu lieu si la Catalogne avait été une nation libre. »

Josep Maria Renyé est un ami d’enfance d’Albert. Il n’a jamais fait par­tie de Terra Lliure mais a pris les armes sous le fran­quisme, au sein d’une orga­ni­sa­tion indé­pen­dan­tiste armée beau­coup plus vio­lente, Epoca (Exèrcit Popular Català, Armée popu­laire cata­lane). Les membres de ce mou­ve­ment ont per­pé­tré plu­sieurs assas­si­nats, dont celui de l’ancien maire de Barcelone Joaquín Viola Sauret. Pour lui, « Epoca et Terra Lliure ont dif­fé­rentes façons de fonc­tion­ner. » Il tri­pote son badge au ruban jaune sur un fond noir, sym­bole de la soli­da­ri­té avec les per­son­na­li­tés poli­tiques indé­pen­dan­tistes empri­son­nées, et explique : « Epoca se pré­pa­rait à for­mer une armée cata­lane s’il y avait une République cata­lane, alors que Terra Lliure, c’était pour faire des actions ponc­tuelles et sym­bo­liques. » Il concède néan­moins que Terra Lliure a accueilli en son sein d’anciens membres d’Epoca.

Manifestation pro-indépendance, à Barcelone, sous le fran­quisme. Extrait du film Llavors de Llibertat, cala i le gene­ra­cio obli­da­da (Les graines de la liber­té, his­toire d’une géné­ra­tion oubliée), de David Andreu et Josep Sabaté

Éviter les arrestations

Carles Sastre, 55 ans, est l’un d’entre eux. Aujourd’hui pré­sident de l’Intersyndicale-CSC (asso­cia­tion de syn­di­cats indé­pen­dan­tistes), il a pas­sé onze ans en pri­son pour homi­cide pen­dant le fran­quisme. Après s’être exi­lé en France, il est reve­nu à Lérida et est deve­nu l’un des diri­geants de Terra Lliure. Il a alors mis en place une stra­té­gie ins­pi­rée d’Epoca pour évi­ter d’être arrê­té par la police. « Les ordres n’étaient pas directs, décrit-il. Il y avait quelqu’un qui les don­nait, un deuxième trans­met­tait et un troi­sième exé­cu­tait ».

Albert a bien connu ce sys­tème. Pour lui, Terra Lliure, c’était un peu « la mafia ». « C’était tou­jours toi-moi, moi-toi, l’omerta et le silence. » Après avoir trans­for­mé la fabrique d’huile d’olives de ses grands-parents en dis­co­thèque, le vieil homme s’est occu­pé d’arranger des rendez-vous secrets entre les membres de l’or­ga­ni­sa­tion. « On était comme les vam­pires, on se ren­con­trait la nuit », dit-il, le visage impassible. 

Réunion de groupes armés basques, cata­lans, corses et bre­tons. Extrait du film Llavors de Llibertat, cala i le gene­ra­cio obli­da­da (Les graines de la liber­té, his­toire d’une géné­ra­tion oubliée), de David Andreu et Josep Sabaté

Le mou­ve­ment a éga­le­ment créé des Comites de soli­da­ri­tat a les patriotes cata­lans (Comités de soli­da­ri­té pour les patriotes cata­lans). « Ces orga­ni­sa­tions contac­taient les familles et les gens des ter­ri­toires où des mili­tants [de Terra Lliure] avaient été empri­son­nés » relate Carles Sastre. Elles leur offraient un sou­tien moral et finan­cier. Et gagnaient des sym­pa­thi­sants à leur cause. Au bar “Slàvia”, Albert et Josep Maria se rap­pellent de cette époque. Ils sortent une immense pho­to de deux anciens de Terra Lliure, aujourd’hui décé­dés. Sur le cadre, une petite plaque de cuivre avec les mots “Patriotes cata­lans” gra­vés en majuscules.

Les comi­tés de soli­da­ri­té pour les patriotes cata­lans. Extrait du film Llavors de Llibertat, cala i le gene­ra­cio obli­da­da (Les graines de la liber­té, his­toire d’une géné­ra­tion oubliée), de David Andreu et Josep Sabaté
Les Borges Blanques, 22 février 2018. Josep Maria Renye et Albert Tarrats, au bar “Slàvia”. ©Marie Daoudal

Terra Lliure avait aus­si une branche poli­tique consi­dé­rée comme plus res­pec­table, et char­gée de sou­te­nir ses actions dans la presse ou à la télé­vi­sion cata­lane TV3 : le Movimiento de defen­sa de la tier­ra (Mouvement de défense de la terre). Aujourd’hui, beau­coup pré­tendent avoir fait par­tie de ce mou­ve­ment sans avoir par­ti­ci­pé à la lutte armée. C’est le cas de Jaume Oliveras, le maire d’El Masnou, dans la ban­lieue de Barcelone, ou de Miquel Casals, un proche de Carles Puigdemont. Ce der­nier avoue néan­moins avoir posé des explo­sifs de manière « occa­sion­nelle » dans les années 1980. 

L’indulgence des Catalans

A Les Borges Blanques, les années Terra Lliure res­tent pré­sentes dans la mémoire de toute une géné­ra­tion. Une voi­sine du tri­bu­nal détruit en 1987 raconte : « J’ai enten­du par­ler de Terra Lliure il y a presque qua­rante ans, quand j’avais 14 ans. Ils récla­maient l’indépendance mais ils étaient aus­si ter­ro­ristes. Et ils n’allaient nulle part. »  Josép Tresck i Tarruella, 45 ans, ren­ché­rit : « D’où je viens, à Sant Guim de la Plana, dans la pro­vince de Lérida, il y avait une jeune femme qui appar­te­nait à Terra Lliure, il y a envi­ron trente ans. Ça nous inquiétait. »

Pendant huit ans, des écoles de la région ont visi­té le bâti­ment détruit dans l’attentat de Les Borges Blanques. Le but : sen­si­bi­li­ser les jeunes élèves à la vio­lence ter­ro­riste. Mais en 1995, l’édifice a été recons­truit et l’affaire enter­rée. En 2017, trente ans après le drame, aucune céré­mo­nie n’a été orga­ni­sée. Il n’y a pas non plus eu de plaque com­mé­mo­ra­tive. Pour l’ancien maire Josep Domenech, « c’est mieux d’oublier parce que si on repense aux faits, cela peut pro­vo­quer des divi­sions, des ran­cunes… » D’après lui, la famille de la vic­time sou­hai­tait elle aus­si évi­ter les com­mé­mo­ra­tions. Sollicitée par Societat, la fille d’Emilia Aldomi Sants n’a pas sou­hai­té répondre à nos questions.

Manifestation de sou­tien aux membres de Terra Lliure empri­son­nés. Extrait du film Llavors de Llibertat, cala i le gene­ra­cio obli­da­da (Les graines de la liber­té, his­toire d’une géné­ra­tion oubliée), de David Andreu et Josep Sabaté

A l’époque de l’explosion, peu de gens ont vrai­ment condam­né les actions du groupe ter­ro­riste. C’est en tout cas ce que sous-entend Josep Domenech : « On avait l’image qu’à Terra Lliure, c’étaient des jeunes un peu exal­tés, mais c’est tout. Les cou­pables de l’attentat de Les Borges par­ti­ci­paient à des asso­cia­tions, c’étaient des gens nor­maux, ils n’étaient pas des assassins. »

José Vargas de l’AVCOT l’assure, la plu­part des vic­times consi­dèrent que les membres de Terra Lliure ont « payé pour leurs crimes ». Beaucoup ont pas­sé plu­sieurs années en pri­son. En 1995, ils ont tous été amnis­tiés par le gou­ver­ne­ment du Premier ministre espa­gnol José Maria Aznar (Parti popu­laire, droite). Le nombre réduit de vic­times a joué pour beau­coup dans cette déci­sion. Les Catalans sont aus­si plus indul­gents avec les ter­ro­ristes lorsqu’ils sont ori­gi­naires de leur région. « Un père va tou­jours jus­ti­fier les actions de son fils, quoi qu’il fasse, déclare Vargas avec emphase. Qu’il soit mau­vais ou bon. »

Les Borges Blanques, 22 février 2018. Graffiti sur un mur “Sense llu­ta, no hi ha futur” (Sans lutte, il n’y a pas de futur, en cata­lan). ©Marie Daoudal

Travail enca­dré par Jean-Baptiste Naudet, Fabien Palem et Cédric Rouquette. 

Share on facebook
Facebook
Share on google
Google
Share on twitter
Twitter
Rubrique : MémoiresMots-clés : indépendance, politique, mémoire, histoire, terrorisme, lutte armée, indépendantisme, explosion, terra lliure

Face à l’indépendantisme catalan, l’extrême-droite espagnole y va Franco

Électoralement mar­gi­nale, l’extrême-droite espa­gnole s’est fait remar­quer au cours des mani­fes­ta­tions de l’automne 2017 en Catalogne. Elle ne reven­dique pas direc­te­ment son atta­che­ment au fran­quisme, mais la droite extrême – pilier de la lutte contre l’indépendance cata­lane – conserve les valeurs de l’époque.

Générations Catalogne. Quand la lutte se transmet en famille

En Catalogne, cannes, bérets et pous­settes se côtoient dans les mani­fes­ta­tions pour l’in­dé­pen­dance. Là où les jeunes s’ins­pirent du pas­sé poli­tique de leurs aïeuls, les anciens s’en­gagent grâce à la verve de leurs des­cen­dants. Portrait de ces familles au sang jaune.

L’histoire à l’école catalane : l’opinion est dans la leçon

En Catalogne, des pro­fes­seurs d’histoire sont accu­sés par des asso­cia­tions et des his­to­riens « d’endoctriner » leurs élèves. Face à ces cri­tiques, ils se défendent et vantent un modèle basé sur la liber­té d’opinion.

Articles récents

  • Les avocats catalans à l’assaut des failles du droit espagnol
  • Autour d’Ada Colau, une majorité divisée
  • Face à l’indépendantisme catalan, l’extrême-droite espagnole y va Franco
  • Les vilains petits supporters barcelonais
  • Littérature catalane : une constellation en quête d’existence

Catégories

  • Tu seras catalan
  • Rester espagnol
  • Vivre la crise
  • Dos à dos
  • Des mots qui comptent
  • Mémoires

Méta

  • Connexion
  • Flux des publications
  • Flux des commentaires
  • Site de WordPress-FR
Qui sommes nous ? Mentions légales