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Le média de la CFJ72 à Barcelone

Barcelone à l’assaut des crimes homophobes de Franco

La ville de Barcelone pré­pare une plainte pour dénon­cer les “crimes contre l’humanité” du régime de Franco. Dans le viseur de la maire : les exac­tions com­mises contre les homo­sexuels par les auto­ri­tés fran­quistes. Quarante-deux ans après la mort du dic­ta­teur, le sujet ne fait pas consen­sus au sein de la classe poli­tique cata­lane en rai­son du pacte d’ou­bli et des lois d’amnistie.

Écrit par Anne-Sophie Thill Enquête de Anne-Sophie Thill et Diane Berger, à Barcelone
Publié le 4 mars 201815 mars 2018
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Dans son salon, Jordi Petit s’af­faire autour d’un man­ne­quin, orné de guir­landes et d’un t‑shirt “Be ori­gi­nal”. « C’est mon arbre de Noël », montre fiè­re­ment le récent retrai­té. Sur la com­mode, des dra­peaux arc-en-ciel sont dis­po­sés en tra­vers d’une pho­to­gra­phie illus­trant la pre­mière Gay Pride d’Espagne, en 1977. Issu d’une famille catho­lique, le Catalan a été l’un des pre­miers acti­vistes LGBT d’Espagne. « Je n’ai rien dit à la mai­son sur mon homo­sexua­li­té avant la démo­cra­tie », explique Jordi Petit.

Barcelone, 22 février 2018. Jordi Petit a reçu la Croix de Saint-Georges de la Generalitat de Catalogne pour son enga­ge­ment en faveur des droits des homo­sexuels. ©Diane Berger

Dès 13 ans, le jeune Catalan s’est muti­lé pour ten­ter de répri­mer son homo­sexua­li­té. Aujourd’hui encore, il porte les stig­mates qu’il s’est infli­gés, encou­ra­gé par des guides spi­ri­tuels venus dans son col­lège bar­ce­lo­nais. Le jeune homme a mar­ché avec des cap­sules de bière dans les chaus­sures et por­té au bras un cilice, un ins­tru­ment poin­tu en fer qui accroche la peau. « Les auto-mutilations font aus­si par­tie de la mémoire des homo­sexuels », insiste l’an­cien coor­di­na­teur du Front d’al­li­be­rament gai de Catalunya (Front de libé­ra­tion gay de Catalogne).

Barcelone, 21 février 2018. La pri­son cen­trale de la ville a accueilli des déte­nus du 9 juin 1904 au 9 juin 2017. ©Diane Berger

Symbole phare du fran­quisme, la pri­son cen­trale de Barcelone, sur­nom­mée La Modelo, a reçu des pri­son­niers dès 1904. Le péni­ten­cier a ces­sé d’en accueillir il y a seule­ment quelques mois et est depuis ouvert au public. La mai­rie de Barcelone y a annon­cé fin jan­vier qu’elle dépo­se­rait une plainte col­lec­tive dans les semaines à venir. Ada Colau et son équipe sou­haitent que les exac­tions com­mises contre les homo­sexuels sous le fran­quisme soient recon­nues comme crimes contre l’hu­ma­ni­té. Ce terme désigne notam­ment les actes inhu­mains ou les per­sé­cu­tions com­mis contre les popu­la­tions civiles pour des motifs poli­tiques, raciaux ou reli­gieux. Conséquence impor­tante : ils sont impres­crip­tibles. Quarante-deux ans après la mort de Francisco Franco, Jordi Molina, conseiller à la mai­rie de Barcelone, défend l’ou­ver­ture de la pro­cé­dure. « La plainte arrive tard mais c’est notre obli­ga­tion de don­ner des réponses aux familles qui ont per­du des êtres chers et de répa­rer les souf­frances de ceux qui ont vécu la répres­sion », juge Jordi Molina. Les exac­tions ciblées contre les homo­sexuels font par­tie d’une répres­sion plus large. On estime à près de 200 000 le nombre de per­sonnes vic­times du fran­quisme et des mil­liers de corps se trouvent tou­jours dans des fosses communes.

Des homosexuels devenus « danger social »

L’histoire de la répres­sion des homo­sexuels est aus­si celle de leur incar­cé­ra­tion. Le dépôt d’une plainte est une ini­tia­tive de plus loca­li­sée en Catalogne, ter­ri­toire pré­cur­seur. Un obser­va­toire inédit contre l’homophobie a été créé pour ins­truire ces délits et une loi pion­nière sur le sujet a été votée en 2014 au Parlement catalan.

Barcelone, 21 février 2018. Armand de Fluvià est l’un des pères fon­da­teurs du pre­mier col­lec­tif gay espa­gnol. ©Diane Berger

Véritable capi­tale gay de l’Espagne fran­quiste, Barcelone était aus­si connue pour être l’épicentre de la com­mu­nau­té LGBT. « La Catalogne a tou­jours été plus pro­gres­siste, euro­péenne et avan­cée que le reste de l’Espagne, plus conser­va­teur », se féli­cite Armand de Fluvià. Âgé de 86 ans, Armand de Fluvià a été l’un des pères fon­da­teurs du mou­ve­ment de libé­ra­tion gay espa­gnol. Un mou­ve­ment né en 1970 en réac­tion à une loi qui incluait les homo­sexuels comme « dan­ger social » par­mi les tra­fi­quants de drogue ou les proxé­nètes. « Comme j’avais eu connais­sance du Front de libé­ra­tion gay né aux États-Unis l’année pré­cé­dente, explique-t-il, j’ai com­men­cé à dire que c’était une énor­mi­té et nous avons com­men­cé à nous battre. » 

Paris, 7 février 2018. Geoffrey Huard a eu accès aux archives judi­ciaires de Barcelone. ©Diane Berger

La loi pré­voyait des mesures pour sur­veiller et « réha­bi­li­ter » les homo­sexuels. « La réha­bi­li­ta­tion, ce n’était rien : faire des tra­vaux manuels, et un curé qui venait chaque dimanche à la messe obli­ga­toire dans la pri­son », témoigne Jordi Petit. Deux centres de “réha­bi­li­ta­tion” ont été créés à Huelva (Andalousie) et à Badajoz (Estrémadure). Lorsque les éta­blis­se­ments étaient com­plets, les pri­son­niers étaient envoyés dans des centres péni­ten­ciers comme celui de La Modelo où Armand de Fluvià a été incar­cé­ré. Enfermé en 1956 puis en 1957 pour motifs poli­tiques, l’aristocrate et ancien monar­chiste recon­naît qu’il a été un pri­son­nier pri­vi­lé­gié en com­pa­rai­son d’autres homo­sexuels enfer­més. « La répres­sion était morale : quand des pri­son­niers voyaient un homo­sexuel, ils se moquaient ou le vio­laient s’ils le pou­vaient », se souvient-il.

Justice de classe et répression sociale

La loi contre les « vaga­bonds et délin­quants » adop­tée en 1954 ser­vait aupa­ra­vant pour condam­ner les homo­sexuels. Les archives judi­ciaires de Barcelone attestent que les homo­sexuels issus des classes popu­laires étaient direc­te­ment visés. « C’était vrai­ment une loi pour essayer de “net­toyer” les rues », observe le cher­cheur Geoffrey Huard, auteur d’une thèse sur le sujet. Ces deux lois (1954 et 1970) per­mirent de juger, entre 1956 et 1977, plus de 1 200 homo­sexuels pour ces motifs et d’en condam­ner 552 en Catalogne et aux Baléares.       

  J’ai entendu plus d’une femme à cette époque dire : “Je préfère avoir un fils criminel ou mongolien que pédé” -Armand de Fluvià, père fondateur du mouvement gay espagnol

Barcelone, 21 février 2018. Depuis jan­vier 2018, La Modelo est ouverte au public. ©Diane Berger

Les homo­sexuels issus des autres milieux n’é­taient pas pour autant épar­gnés en cas d’ar­res­ta­tion. « Avant de relâ­cher cer­tains homo­sexuels, le com­mis­sa­riat appe­lait leur famille, leur entre­prise, explique l’his­to­rien Leopold Estape Amat, spé­cia­liste de la ques­tion LGBT. La peine, ce n’é­tait pas la pri­son mais la pres­sion sociale. » Avec des consé­quences sur la san­té men­tale. « Beaucoup sont tom­bés en dépres­sion et se sont sui­ci­dés, mais on ne pour­ra jamais savoir com­bien, sou­pire Jordi Petit. D’autres ont pris une double vie, ils se sont mariés et ont eu des enfants. » « J’ai enten­du plus d’une femme à cette époque dire : “Je pré­fère avoir un fils cri­mi­nel ou mon­go­lien que pédé” », abonde Armand de Fluvià. Dans la lumière tami­sée de son bureau exi­gu mais chic, pho­to­gra­phies et titres hono­ri­fiques flattent au mur la longue vie du pro­prié­taire. L’ancienne figure gay se sou­vient du contexte de répres­sion de l’é­poque. « Pour l’État, nous étions un dan­ger et des cor­rup­teurs de mineurs, fus­tige le Catalan. Pour la méde­cine, des malades men­taux. Pour l’Église, les pires des pécheurs. Et pour la socié­té, nous étions des hommes qui avions abdi­qué notre qua­li­té de mâles. »

Barcelone, 21 février 2018. La salle des par­loirs de La Modelo où les pri­son­niers ren­con­traient leur famille. ©Diane Berger

La plainte est une réponse à une pro­messe poli­tique de la maire. En 2015, pen­dant la cam­pagne, son pro­gramme pré­voyait de récu­pé­rer la « mémoire démo­cra­tique » de la ville. Question émi­nem­ment sen­sible, l’ar­ri­vée sur la table de la plainte agace. Antoni Ruiz Saiz, est le pré­sident de l’as­so­cia­tion Anciens pri­son­niers sociaux (Ex-presos sociales), créée par un col­lec­tif de per­sonnes LGBT vic­times de repré­sailles durant le fran­quisme. Il fus­tige un oppor­tu­nisme poli­tique et l’ab­sence de consul­ta­tion des asso­cia­tions. « La mai­rie ne connaît même pas le dos­sier, sinon elle sau­rait que le Parlement cata­lan nous a déjà ren­du hom­mage en 2005 », blâme-t-il. Le pré­sident de l’association a été enfer­mé trois mois dans la pri­son de Badajoz pour son orien­ta­tion sexuelle en 1976. Antoni Ruiz Saiz est deve­nu en 2009 le pre­mier homo­sexuel à rece­voir 4 000 euros du gou­ver­ne­ment espa­gnol pour avoir subi cette répres­sion. De son point de vue, la plainte pour­rait éclip­ser le vrai com­bat : l’aug­men­ta­tion des indemnisations.

L’annonce du dépôt pro­chain de la plainte a sus­ci­té un rela­tif consen­sus sur l’é­chi­quier poli­tique. Dans la muni­ci­pa­li­té, seuls deux par­tis mino­ri­taires, le Partido popu­lar (PP, Parti popu­laire) et Ciudadanos, s’y opposent. Pourtant, à l’échelon natio­nal, le gou­ver­ne­ment PP cri­tique l’initiative de la mai­rie. Et pour cause, à sa créa­tion en 1976, l’Alliance popu­laire (deve­nue le PP) comp­tait dans ses rangs d’anciens fran­quistes. « De leur point de vue, nous remuons le cou­teau dans la plaie et empê­chons qu’elles se referment », estime Jordi Molina.

Un geste d’abord symbolique

Pour l’a­vo­cate qui tra­vaille sur le dos­sier, l’is­sue dépen­dra de la sen­si­bi­li­té du juge. Les argu­ments de la mai­rie sont « solides », avance Laura Perés Ravellat, mais les obs­tacles nom­breux. Plus de qua­rante ans se sont écou­lés depuis la com­mis­sion des actes, les auteurs comme les vic­times sont dif­fi­ci­le­ment loca­li­sables ou vivants. La loi d’ ”amnis­tie” de 1977, ins­tau­rée en pleine tran­si­tion démo­cra­tique, a d’ailleurs empê­ché les ins­truc­tions sur ce pas­sé. « Si la plainte était admise, elle pour­rait ouvrir la boîte de Pandore, pré­vient David Bondia, de l’Institut des droits de l’Homme en Catalogne. Ce n’est pas seule­ment la répres­sion contre les homo­sexuels qui pour­rait être jugée, mais toutes les exac­tions com­mises sous le franquisme. »

Barcelone, 21 février 2018. Chez Jordi Petit, des dra­peaux arc-en-ciel, emblèmes de la com­mu­nau­té LGBT, décorent le salon. ©Diane Berger

En 2007, avec la loi sur la mémoire his­to­rique, le gou­ver­ne­ment socia­liste a créé des sub­ven­tions. L’idée : per­mettre aux asso­cia­tions et aux cher­cheurs de cher­cher les corps des vic­times du fran­quisme. « Depuis que le PP est reve­nu au pou­voir en 2011, la loi existe tou­jours mais il n’y a plus d’argent dans les caisses, regrette Geoffrey Huard. Les mai­ries essaient de prendre le relais, mais cela signi­fie qu’elles doivent y affec­ter une part de leur bud­get. » Au niveau local, le direc­teur des archives judi­ciaires a la main sur leur accès. Barcelone a accep­té d’ouvrir les siennes. D’autres s’y sont oppo­sées, comme Séville, diri­gée par un maire socia­liste, avant d’ac­cep­ter. L’absence de demandes mas­sives visant l’ou­ver­ture des archives joue en défa­veur des quelques cher­cheurs qui tra­vaillent sur le sujet. « Peut-être que la plainte va chan­ger les choses si elle débouche sur un pro­cès, ce que j’es­père », signale Geoffrey Huard.

Barcelone, 20 février 2018. Le conseiller à la mai­rie Jordi Molina sait que de mul­tiples obs­tacles peuvent faire échouer la plainte. ©Diane Berger

Le régime fran­quiste se carac­té­rise aus­si par l’ab­sence de trans­pa­rence et de rap­ports rela­tant les condi­tions de déten­tion des pri­son­niers. Les années fran­quistes sont un vaste trou noir. Autre frein : une par­tie des vic­times a été déci­mée par le Sida. Ce sont donc les témoi­gnages de toute une géné­ra­tion qui se sont fait rares.

Le sys­tème judi­ciaire espa­gnol lui-même est un obs­tacle au suc­cès de la pro­cé­dure. En décembre 2017, une muni­ci­pa­li­té a dépo­sé une plainte simi­laire contre les crimes fran­quistes pour la toute pre­mière fois en Espagne. Celle d’Elgeta, au Pays basque. Une jeune magis­trate l’a admise en pre­mière ins­tance avant d’être rem­pla­cée dès jan­vier 2018, et la plainte clas­sée. « Il existe un pro­blème très grave de proxi­mi­té entre le gou­ver­ne­ment cen­tral et les juges », tance le conseiller à la mai­rie Jordi Molina. Selon ce der­nier, cette conni­vence marque un autre héri­tage du fran­quisme. Pour Jordi Molina, la plainte a de toute façon une visée sym­bo­lique et peu de chances de débou­cher sur un pro­cès. « S’il n’y a pas de suite au niveau juri­dique, cela per­met­tra au moins d’en­voyer un mes­sage à l’État et à la magis­tra­ture pour leur signi­fier que nous conti­nuons d’at­tendre véri­té, jus­tice et répa­ra­tion pour les victimes ».

Travail enca­dré par Alain Salles, Fabien Palem, Cédric Rouquette et Cédric Molle-Laurençon.

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Rubrique : MémoiresMots-clés : barcelone, franquisme, mémoire

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