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Le média de la CFJ72 à Barcelone

Pêcheurs catalans contre Madrid, l’histoire d’un « Gambasgate »

À 100 km au sud de la fron­tière fran­çaise, dans le port de la petite ville côtière de Palamós, les vel­léi­tés indé­pen­dan­tistes ont aus­si gagné les pêcheurs de gam­bas. Ils espèrent pro­fi­ter des ten­sions poli­tiques que connaît la Catalogne pour prendre la main sur leur activité.

Écrit par Adrien Develay Enquête de Adrien Develay et Guillaume Gosalbes, à Palamós
Publié le 2 mars 201815 mars 2018
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Un vent insi­dieux balaie les côtes cata­lanes. Rares sont les bateaux qui se risquent à sor­tir : la tra­mon­tane souffle à plus de 50 kilo­mètres par heure. « La Vierge de Carme nous pro­tège », se ras­surent les témé­raires qui rentrent au port. La sainte patronne des pêcheurs oublie rare­ment ceux de Palamós. À l’heure de la criée, on s’affaire dans le han­gar qui jouxte le musée de la pêche cata­lane, face aux quais de déchar­ge­ment. Les pêcheurs lavent, classent, trient et répar­tissent dans des bacs les quelques pois­sons de la mati­née, avant de les pro­po­ser à la vente. Pendant que les ache­teurs se dis­putent les rou­gets et les ras­casses, les pêcheurs reprennent leur souffle, érein­tés par neuf heures en mer. « C’était pas ter­rible aujourd’hui », souffle l’un deux.

Les pêcheurs doivent en ce mois de février se conten­ter de l’or­di­naire pois­son de Méditerranée. Mais c’est la gam­bas qui a fait la renom­mée de Palamós. Elle est ven­due dans toute l’Espagne, jus­qu’à Madrid. Le crus­ta­cé est depuis le début de l’hi­ver au coeur de ten­sions entre les pêcheurs et la capi­tale espa­gnole. Même si, en ce moment, il est à l’a­bri des filets. « On est en période de jachère bio­lo­gique : on laisse le temps aux gam­bas de se repro­duire et de gran­dir pour avoir un meilleur ren­de­ment et gagner plus d’argent », explique Gastó, 62 ans, capi­taine de cha­lu­tier.

Ce temps mort, c’est la loi qui leur impose. Une déci­sion de Bruxelles les oblige à res­pec­ter une carence de 30 jours le pre­mier mois de chaque année pour per­mettre aux viviers de se renou­ve­ler. Mais à Palamós, les pêcheurs à la gam­bas ont déci­dé d’eux-mêmes de dou­bler cette durée, la pas­sant à 60 jours. 

Palamós, 21 février 2018. Pendant les périodes de jachère orga­nique, seuls les bateaux de pêche arti­sa­nale sont auto­ri­sés à sor­tir en mer. ©Adrien Develay

La Generalitat, l’organisation poli­tique de la région auto­nome de Catalogne, a approu­vé cette démarche. « Ce plan de ges­tion n’est appli­qué qu’à Palamós », se féli­cite Toni Albalat, patron de la confré­rie des pêcheurs de la ville. Lui-même membre d’é­qui­page, il occupe cette fonc­tion depuis deux ans. « Maintenant, on pense que ce serait une très bonne chose que l’on com­mu­nique sur cette réus­site et que d’autres ports adoptent cette idée. »

Pas d’exception pour les pêcheurs catalans

Problème : Madrid ne voit pas d’un bon œil l’initiative éco­res­pon­sable de Palamós . Accepter ce cas unique en Méditerranée serait en faire un par­ti­cu­la­risme, cata­lan de sur­croît. Hors de ques­tion pour l’État espa­gnol, qui pré­fère l’unité des direc­tives sur son ter­ri­toire. « Ce serait don­ner trop d’importance aux pêcheurs et au gou­ver­ne­ment auto­nome, se déses­père Toni. Ils ont tou­jours eu peur de ça, sur­tout ici. Cela va à l’encontre de leur logique impé­ria­liste. » 

Palamós, 21 février 2018. 300 per­sonnes vivent de la pêche à Palamós. ©Guillaume Gosalbes

Les pêcheurs de Palamós ont sur­nom­mé leur ini­tia­tive « plan de ges­tion de la pêche à la gam­bas ». Parce que le mot “ges­tion” induit une par­ti­cu­la­ri­té et des com­pé­tences propres et auto­nomes, Madrid a pré­fé­ré appe­ler l’initiative de Palamós « plan de régu­la­tion de pêche ». « C’est comme s’ils disaient “On ne va pas appe­ler le bleu ’bleu’, mais ’cyan’ ” » s’amuse le chef des pêcheurs. Les déci­sions de Madrid font rire jaune le patron des pêcheurs de Palamós. Au port, les « ingé­rences du pou­voir madri­lène » passent de plus en plus mal. 

À 700 kilo­mètres de la capi­tale espa­gnole, ils n’en­tendent plus rece­voir les direc­tives d’une ville sans lien direct avec leur pro­fes­sion. La ges­tion de la pêche en Catalogne est par­ta­gée entre Madrid et les régions. La répar­ti­tion des pré­ro­ga­tives est dis­pro­por­tion­née selon les pêcheurs. Toni Albalat dénonce un manque de clair­voyance de la part du pou­voir cen­tral : « la Generalitat a bien plus conscience des réa­li­tés sur nos côtes qu’eux, on a une rela­tion directe avec elle, pas avec la capi­tale. Ce manque de connexion a tou­jours exis­té. »

Une autre déci­sion de l’État espa­gnol fait grin­cer des dents : le plan de ges­tion inté­gral de la Méditerranée, voté par le Parlement espa­gnol au prin­temps der­nier. Il uni­fie les direc­tives de pêche sur toutes les côtes médi­ter­ra­néennes euro­péennes (durée en mer, poids pêché, super­fi­cie des zones de pêche, etc.), et réserve le droit à chaque pays d’a­dap­ter la loi en fonc­tion de ses spé­ci­fi­ci­tés. En Espagne, les ins­truc­tions  sont uni­fiées sur toutes les côtes du pays, atlan­tique ou médi­ter­ra­néenne. Une inco­hé­rence pour Alberto, marin sur un cha­lu­tier : « C’est une petite mer, où les bancs de pois­sons sont plus maigres donc les volumes aus­si. Notre acti­vi­té n’est pas indus­trielle ici : on ne pêche pas des tonnes, mais des kilos », résume le pêcheur de 52 ans. Il ne sai­sit tou­jours pas la per­ti­nence de déci­sions natio­nales sur le sec­teur de la pêche : « On ne voit pas trop ce que viennent faire ces normes océa­niques ici. Nous vou­drions enfin avoir une ges­tion locale de notre acti­vi­té », dit-il d’un air presque rési­gné. « Tu veux dis­cu­ter avec un âne », se moque un col­lègue en passant.

Les pêcheurs haussent le ton à la catalane

Une dis­cus­sion col­lé­giale a été pro­po­sée par les pêcheurs. Selon Toni, Madrid a refu­sé de s’asseoir avec eux. « Encore une façon de mon­trer qui tient les rênes, pré­cise le patron de la confré­rie. La table de dis­cus­sion existe avec la Generalitat et les scien­ti­fiques asso­ciés, mais presque clan­des­ti­ne­ment. » Contacté à plu­sieurs reprises, le minis­tère espa­gnol de la Pêche n’a pas sou­hai­té répondre à nos questions. 

Barcelone, 24 février 2018. Les cou­leurs et la forme de L’Estelada des indé­pen­dan­tistes cata­lans sont direc­te­ment ins­pi­rées du dra­peau de Cuba. ©Kenan Augeard

Alors, à défaut de dis­cu­ter, les pêcheurs de Palamós militent. Tous ne sont pas indé­pen­dan­tistes dans l’âme. Mais cha­cun est déci­dé à lut­ter contre « l’hégémonie madri­lène ». Le 1ᵉʳ octobre 2017, la Catalogne vote pour le réfé­ren­dum sur l’indépendance. Certains de leurs confrères à Sant Carles de la Rapita sont mal­me­nés par la Guardia civil, venue sai­sir les urnes. Ils sont alors les pre­miers à ral­lier la grève géné­rale qui gèle la Catalogne pen­dant toute une jour­née. Pendant 24 heures, le port reste fer­mé. « Nous avons vou­lu appor­ter paci­fi­que­ment notre sou­tien à nos col­lègues moles­tés », jus­ti­fie Toni.

Une grève et un sou­tien que cau­tionne sans appel la mai­rie indé­pen­dan­tiste de Palamós. Lluis Puig, ancien maître d’é­cole de 42 ans, est maire de la com­mune depuis 2015. Il est membre de l’Esquerra repu­bli­ca­na de Catalunya (ERC, Gauche répu­bli­caine de Catalogne), par­ti indé­pen­dan­tiste cata­lan. « Comme toutes les villes de la pro­vince de Gérone, Palamós a mas­si­ve­ment voté pour l’indépendance », dit fiè­re­ment Lluis Puig. La ville a effec­ti­ve­ment voté à 93 % pour le “Oui” avec une par­ti­ci­pa­tion supé­rieure à la moyenne de la région. « Cela n’a rien d’exceptionnel. Les Palamosinos sont sûrs de leurs convic­tions », constate M. Puig. 

Dans les rues de sa ville, l’Estelada, le dra­peau des indé­pen­dan­tistes cata­lans, agré­mente un peu par­tout les murs des com­merces et les bal­cons.  Sur la devan­ture de l’Ajuntament, la mai­rie, une ban­de­role est accro­chée depuis plu­sieurs semaines : “Llibertat pre­sos politícs”, liber­té pour les pri­son­niers poli­tiques. Elle fait réfé­rence aux huit anciens ministres de la Generalitat empri­son­nés depuis le 2 novembre 2017 pour sédi­tion. « Cette ban­de­role nous a été pro­po­sée par des citoyens, nous avons immé­dia­te­ment accep­té. Ils sont en pri­son pour des idées poli­tiques, pas pour un quel­conque délit inven­té par le pou­voir cen­tral », s’insurge le maire.

Palamós, 21 février 2018. Pour Amnesty International, les indé­pen­dan­tistes cata­lans déte­nus « ne sont pas des pri­son­niers d’o­pi­nion ». ©Adrien Develay

Bataille navale

La veille du réfé­ren­dum, le port de la ville est alors le théâtre de l’une des batailles, navale celle-ci, de la lutte que se livrent les indé­pen­dan­tistes et Madrid.

Le “Moby Data” était l’un des fer­rys dépê­chés sur les côtes cata­lanes pour appor­ter un sou­tien logis­tique à la Guardia civil le jour du réfé­ren­dum. ©Wikipedia commons

Le 30 sep­tembre 2017, la Catalogne s’apprête à voter pour son indé­pen­dance. Un réfé­ren­dum illé­gal selon le gou­ver­ne­ment espa­gnol. La Guardia civil est mobi­li­sée et se dis­perse aux quatre coins de la région pour empê­cher la tenue du vote et sai­sir les urnes. Madrid loue trois fer­rys à l’Italie pour loger les poli­ciers le temps de l’intervention. Il est 9h lorsqu’un mail arrive à la capi­tai­ne­rie de Palamós : le “Moby Data”, en pro­ve­nance de Bastia en Corse, demande l’autorisation de jeter l’ancre dans le port de la ville pour sécu­ri­ser la pro­vince de Gérone. La demande est alors trans­fé­rée à l’autorité por­tuaire de la Generalitat à qui revient la ges­tion du port. À 11h30, le bateau reçoit la réponse de la capi­tai­ne­rie : l’accès au port lui est refu­sé. Le “Moby Data” doit alors se dérou­ter vers celui de Barcelone, admi­nis­tré par Madrid.

Qui a pris cette déci­sion ? À Palamós, la réponse est éva­sive. « La ges­tion des ports dépend de la Generalitat, nous n’avons pas eu notre mot à dire », se défend le maire Lluis Puig. « Nous accueil­lions déjà des navires de croi­sières et com­mer­ciaux, les quais d’accostage étaient pleins. » Pour Carlos Ribas, jour­na­liste à Radio Palamós, c’est un peu plus com­pli­qué : en effet, Palamós n’avait pas réel­le­ment la capa­ci­té d’accueillir ce fer­ry de poli­ciers. « Mais c’est la capi­tai­ne­rie, qui dépend de la mai­rie, qui a refu­sé offi­ciel­le­ment l’accès aux quais », explique mali­cieu­se­ment Carlos. Un ali­gne­ment des pla­nètes pour le port indé­pen­dan­tiste. « C’était une heu­reuse coïn­ci­dence », recon­naît le maire, sou­rire en coin.

« C’est un mensonge ! » – Alfonso Merino, Association unifiée des gardes civils

Le plus impor­tant syn­di­cat de la Guardia civil,  l’Asociación uni­fi­ca­da de Guardias civiles (AUGC, Association uni­fiée de gardes civils), a une toute autre ver­sion. C’était tout sauf une coïn­ci­dence et bien une déci­sion déli­bé­rée. « C’est un men­songe !, s’é­trangle Alfonso Merino, secré­taire géné­ral de la délé­ga­tion Barcelone-Gérone de l’AUGC. La Generalitat a volon­tai­re­ment pris la déci­sion de nous blo­quer l’ac­cès au port, sans motif valable. » Selon le repré­sen­tant syn­di­cal, la pré­sence de paque­bots de croi­sière dans le port n’empêchait aucu­ne­ment le fer­ry d’ac­cos­ter. « Cette déci­sion était clai­re­ment des­ti­née à gêner la logis­tique de la Guardia civil pour le réfé­ren­dum », insiste Alfonso Merino.

Depuis cet épi­sode, le calme est reve­nu sur le port. Durant toute la semaine, aucun bateau ne s’a­ven­ture en mer. Il y a encore trop de vent. Mais la sai­son de la gam­bas approche. Alors les pêcheurs, en atten­dant, entre­tiennent les cha­lu­tiers. Dans son bureau de la confré­rie, Toni Albalat tra­vaille. La semaine pro­chaine, Palamós accueille une série de confé­rences sur le déve­lop­pe­ment durable de la Costa Brava. Les orga­ni­sa­teurs affirment avoir invi­té les auto­ri­tés espagnoles.
Une fois de plus, Madrid aurait décliné.

Musée de la pêche de Palamós, 21 février 2018. La devise des pêcheurs de Palamós. ©Adrien Devela

Travail enca­dré par Jean-Baptiste Naudet, Frédéric Traini, Cédric Rouquette et Cédric Molle-Laurençon.

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Rubrique : Vivre la criseMots-clés : indépendance, Espagne, catalogne, référendum, palamos, port, pêche, gambas

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