« Je suis tellement fier d’elle, c’est la meilleure femme politique d’Espagne ! » Carlos Ballart, 27 ans, est un jeune militant de Ciudadanos (Citoyens, centre-droit) proche d’Inés Arrimadas, leader du parti en Catalogne. Elégant, son pull sable au-dessus de sa chemise rayée, la coiffure impeccable : il pourrait être son double masculin. « Elle est tellement modeste et c’est une vraie bosseuse », dit-il avec son Coca Zéro à la main. « Quand elle est arrivée dans le parti, on a tout de suite su qu’elle serait une leader incroyable ! ».
Inés Arrimadas est la nouvelle star de la politique espagnole. Le foyer de son ascension est en Catalogne. Son parti, Ciudadanos, créé en 2006 et dirigé par Albert Rivera, est un mouvement unioniste qui se présente comme centriste. Inés Arrimadas, 37 ans, en est à la fois la leader en Catalogne et son portrait craché. Décrire Arrimadas revient à décrire le parti : jeune, photogénique et venant de la société civile.
Elle naît à Jerez de la Frontera, en Andalousie, d’un père avocat et élu centriste et d’une mère communiste. Le cousin de son père a été gouverneur civil pendant la dictature de Franco. C’est au lycée qu’elle apprend le catalan avant de commencer des études de droit et de management à Séville. Elle étudie en partie à Nice et parle couramment le français et l’anglais. Cette Andalouse s’installe en Catalogne, à Barcelone, en 2008 en tant que consultante. Le logo du parti est à l’image de son parcours : un blason où sont réunis les drapeaux espagnol, catalan et européen.
Inés Arrimadas a mis six ans à faire de Ciudadanos le premier parti de Catalogne. Elle entre en politique en 2011. A peine un an plus tard, elle devient députée Ciudadanos au Parlement de Catalogne. Le parti a alors neuf sièges. Albert Rivera, leader du parti, laisse la Catalogne à Inés Arrimadas pour se consacrer à ses ambitions espagnoles. Avec Inés Arrimadas à sa tête en Catalogne, le parti passe alors de neuf députés à 25 en 2015, puis 36 en 2017. Ciudadanos devient alors le premier parti de Catalogne. Pour Gabriel Colomé, politologue à l’Institut de sciences politiques et sociales à Barcelone, « elle est responsable de cette avancée ». « Inés est une très bonne candidate, elle dit toujours ce qu’elle pense, elle est très forte dans la confrontation » explique-t-il. Le but d’Inés Arrimadas : attirer tous ceux qui sont contre l’indépendance de la Catalogne. De droite ou de gauche, qu’importe, elle ratisse au plus large. Inés Arrimadas a aussi bien le vote des plus riches que des plus pauvres. Plus les mots envers les indépendantistes sont durs, plus les électeurs sont nombreux.
Lisse et contrôlée, une porte-parole à l’image du parti
Sur les murs extérieurs du local du parti à Barcelone, deux portraits sont affichés : celui de Rivera et le sien. Des cheveux bruns, ondulés et laqués. Un grand sourire entouré de rouge à lèvres. Inés Arrimadas travaille son image en permanence. Adepte des réseaux sociaux, elle se montre quotidiennement. Son fil Twitter est rempli de photos d’elle en réunion ou en débat au Parlement. C’est la première à aller sur les marchés et rencontrer les électeurs.
https://twitter.com/InesArrimadas/status/963404871293718528
Cette communication directe est loin d’être spontanée. « Il y a une grosse équipe de marketing derrière Inés Arrimadas, raconte Gabriel Colomé, chaque mot est pensé pour toucher son électorat. Dans les débats, elle n’entre pas en confrontation directe avec les autres parlementaires. Elle ne regarde que la caméra, ses électeurs. En face, ils se disent qu’enfin quelqu’un les défend ».
La stratégie d’Inés Arrimadas est en fait celle de Ciudadanos. Le parti a un contrôle total sur la communication de ses députés. Tout doit passer par le service presse. Tout le monde s’appelle par son prénom, sauf pour le grand leader, pour qui c’est toujours « Albert Rivera ». Les interviews se font au Parlement, vingt minutes et pas plus. Une seule interview avec un député est accordée à chaque média. Dans leurs bouches, les mêmes éléments de langage. Les députés Ciudadanos n’ont pas le droit aux écarts. Toutes les trois minutes, l’attachée de presse vient rappeler combien de temps il reste et, au passage, s’assure que tout va bien. Sonia Sierra, députée du parti au Parlement catalan, habituée des interviews, martèle machinalement un discours tout préparé : « Inés Arrimadas est une des meilleures politiciennes d’Europe. Elle travaille très dur, elle va devant les médias et elle est très douée dans tous les débats ! ».
Inés Arrimadas est effectivement la coqueluche des médias espagnols. « Les médias la voyaient déjà gagnante des dernières élections ! », s’emporte Jaume Lopez, politologue indépendantiste à l’Université Pompeu Fabra de Barcelone. « Il y a eu exactement le même phénomène qu’avec Macron en France, les médias se sont emballés pour cette nouvelle personnalité ». ABC, un journal espagnol, a même fait sa une sur Inés Arrimadas un jour avant les élections du Parlement en 2017. Le journal a dû payer une amende de 800 € car il est illégal en Espagne de présenter un candidat dans les médias deux jours avant une élection.
« C’est une marionnette ! »
Sur la Plaça de Catalunya (Place de Catalogne), des indépendantistes protestent contre l’emprisonnement de ceux qui ont organisé le référendum du 1er octobre. Ici, les opposants d’Inés Arrimadas sont nombreux. Les drapeaux catalans sont partout. Un groupe de militants tricote une longue écharpe jaune. Le ruban jaune est le symbole de ceux qui veulent la libération des « prisonniers politiques ». « Elle veut nous détruire ! Elle est fasciste ! », s’énerve Mikel, 19 ans.
Au Starbucks Coffee de la place, Aldo Frediani et Guillem Valls, deux étudiants barcelonais en sciences politiques, sont à la tête de Deconstuïnt Ciudadanos, un compte Twitter anti-Cuidadanos. Ils sont indépendantistes et de gauche. Guillem, deux fois plus grand qu’Aldo, fait une thèse sur le populisme. « C’est facile d’être populaire et de gagner des élections en racontant des mensonges ! », se lamente Guillem en mangeant sa salade de quinoa. Selon Aldo, « Inés Arrimadas a fait tout ce qu’il fallait pour être au pouvoir, il faut l’admettre. On veut juste montrer que Ciudadanos n’est pas ce qu’il prétend être ». Aina Teixido Franch, 27 ans, un ruban jaune accroché au t‑shirt, insiste : « c’est juste une marionnette de Rivera ! ». Inés Arrimadas et Ciudadanos subissent le même traitement en Catalogne : on les adore ou on les déteste. Les réactions sont quasiment physiques. « Pour les indépendantistes, s’attaquer à la Catalogne, c’est comme si on agressait leur mère, explique Jaume Lopez, ils perdent la raison, tout est dans l’émotion ».
Une ambition espagnole
Albert Rivera, le leader national du parti, se concentre lui sur Madrid. Une guerre des chefs entre Arrimadas et Rivera pourrait débuter dans le parti orange. « Je dirais qu’Inés Arrimadas a un meilleur profil que Rivera pour être présidente du gouvernement espagnol, affirme Gabriel Colomé. Elle a un avantage sur lui, elle n’est pas catalane. C’est plus facile pour un Espagnol conservateur de voter pour un Espagnol que pour un Catalan. Mais je pense que Rivera le voit très bien, il va l’envoyer à une bataille déjà perdue », analyse-t-il. Certains élus de droite, parfois de son parti, lui demandent déjà d’essayer de prendre la présidence de la Catalogne, même si cela est mathématiquement impossible. Il manque encore l’occasion pour qu’Inés Arrimadas matérialise sa popularité et sorte de son rôle d’éternelle députée d’opposition.
Travail encadré par Jean-Baptiste Naudet, Fabien Palem, Cédric Rouquette et Cédric Molle-Laurençon.