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Le média de la CFJ72 à Barcelone

En Catalogne, des citoyens indépendantistes dans le viseur de la justice

Ils pen­saient s’en­ga­ger paci­fi­que­ment pour l’in­dé­pen­dance de la Catalogne. Ils se retrouvent devant la jus­tice espa­gnole. Pour les citoyens ordi­naires, ces retom­bées judi­ciaires ont eu l’ef­fet d’un véri­table coup de ton­nerre. Les élus locaux, eux, sont moins sur­pris. Tous mili­tants, ils nous livrent leur récit et évoquent les réper­cus­sions sur leur quotidien. 

Écrit par Laurène Trillard Enquête de Laurène Trillard et Elena Louazon, à Barcelone et Argentona
Publié le 2 mars 201815 mars 2018
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Le petit ruban jaune épin­glé sur le côté gauche de sa dou­doune, sym­bole de l’indépendance cata­lane, ne trompe pas. C’est avec elle que nous avons rendez-vous. Teresa Vidal nous attend sage­ment près d’une colonne publi­ci­taire, située dans la ville de Cornellà, à quelques sta­tions de métro du centre de Barcelone. C’est ici qu’elle a col­lé une der­nière affiche en faveur du réfé­ren­dum, la nuit pré­cé­dant le scru­tin. On pou­vait y lire le slo­gan “Bienvenue à la démocratie”.

Plaça de l’església (Place de l’é­glise), Cornellà, 29 sep­tembre 2017. Panneau d’af­fi­chage sur lequel Terese Vidal a col­lé sa der­nière affiche. ©Teresa Vidal

Dans cette com­mune à majo­ri­té unio­niste, les insultes pleuvent ce soir-là sur les indé­pen­dan­tistes. Des voi­sins appellent les Mossos d’Esquadra – la police locale -, pour dénon­cer la pré­sence de pla­car­deurs. A leur arri­vée, Teresa sort ses papiers d’i­den­ti­té. Elle n’est pas seule, sept autres cama­rades se font contrô­ler. « On a vrai­ment eu très peur », révèle Xavi Areste, pro­fes­seur de tech­no­lo­gie, qui arbore fiè­re­ment un ruban et deux écharpes jaunes.

Un mois plus tard, tous voient les forces de l’ordre se pré­sen­ter à leur domi­cile. « J’ai d’a­bord cru qu’il y avait une camé­ra cachée. Je ne suis pas une délin­quante, confie Teresa, encore cho­quée de cette intru­sion. Mes enfants de 11 et 14 ans ont tout vu. Ma fille a beau­coup pleu­ré les jours sui­vants ». La qua­dra­gé­naire n’a d’autre choix que de se rendre au com­mis­sa­riat. A peine arri­vée, une poli­cière lui lance : « Vous savez que ce que vous avez fait est grave ? Vous devriez être contente de ne pas être pla­cée en garde à vue. » Ce jour-là, Teresa, employée à la mai­rie, apprend qu’elle est pour­sui­vie pour déso­béis­sance. Ce délit s’ap­plique aux élus ou fonc­tion­naires qui refusent de se sou­mettre à la loi. Ils risquent alors l’i­né­gi­bi­li­té. Après ins­pec­tion du dos­sier, le juge d’ins­truc­tion de Cornellà décrète que le fait de col­ler des affiches n’a aucun lien avec la déso­béis­sance. Un sou­la­ge­ment pour Teresa : « Toutes les charges sont tombées. »

Mais elle ne s’est pas encore remise de ses émo­tions. « J’aurais pu perdre mon tra­vail pour avoir sim­ple­ment col­lé des affiches », tremble-t-elle. Avant d’ajouter : « Mes valeurs sont supé­rieures au sen­ti­ment de peur. » Aujourd’hui, l’i­mage qu’elle avait de l’Espagne s’est dégra­dée : « On nous dit qu’on vit dans un pays démo­cra­tique, mais ce n’est pas le cas. »

Cornellà, 21 février 2018. Teresa Vidal et Xavi Areste nous racontent leur his­toire. ©Laurène Trillard

La mésa­ven­ture de Teresa Vidal sou­lève une situa­tion sou­vent igno­rée du grand public. La presse espa­gnole se foca­lise sur les grands lea­ders pour­sui­vis par la jus­tice pour avoir orga­ni­sé le réfé­ren­dum. Comme Carles Puigdemont, ex-président de la Catalogne, réfu­gié en Belgique. Celui-ci est notam­ment accu­sé de rébel­lion, sou­lè­ve­ment violent contre l’ordre consti­tu­tion­nel. Ce délit, l’un des plus graves dans le Code pénal espa­gnol, est pas­sible d’une peine d’emprisonnement pou­vant aller jus­qu’à 30 ans.

Plusieurs cen­taines de citoyens ano­nymes sont eux aus­si confron­tés à la jus­tice pour d’autres motifs. Dans la plu­part des cas, il s’a­git d’é­lus locaux. Les chiffres offi­ciels ne sont tou­jours pas dis­po­nibles. Par exemple, cer­tains sont accu­sés de détour­ne­ment de fonds publics dans l’or­ga­ni­sa­tion du scru­tin, et risquent huit ans de pri­son. Pour le moment, les pro­cé­dures n’a­bou­tissent pas. Malgré tout, beau­coup ont été ébran­lés : ils n’es­ti­maient pas avoir enfreint la loi.

On peut rire de tout,
mais pas avec n’importe qui

C’est une his­toire de clown qui pour­rait mal finir. Jordi Pesarrodona tra­vaille à la mai­rie de Sant Joan de Vilatorrada, à une soixan­taine de kilo­mètres de Barcelone. Il doit aus­si être jugé pour déso­béis­sance. Lui a choi­si l’hu­mour pour récla­mer l’in­dé­pen­dance de sa région : « Je suis membre de l’association “Clown sans fron­tières”. Nous avons tou­jours reven­di­qué les nez rouges pour lut­ter contre les armes et les occu­pa­tions militaires. »

Un après-midi de sep­tembre 2017, à quelques jours du réfé­ren­dum, la Guardia civil (force de police natio­nale espa­gnole) per­qui­si­tionne un bâti­ment situé dans son can­ton. Exaspéré, Jordi décide de prendre la pose avec son nez de clown durant deux heures à côté de l’un des agents, char­gé de sur­veiller l’o­pé­ra­tion. Certains curieux s’empressent de les pho­to­gra­phier et l’image devient virale sur les réseaux sociaux. « Le contraste d’un clown paci­fiste à côté d’un homme armé a dû tou­cher les gens », ana­lyse l’incriminé.

Le jour de l’é­lec­tion, les poli­ciers viennent l’ar­rê­ter dans l’école du vil­lage, là où étaient dis­po­sées les urnes. « Ils m’ont recon­nu, affirme-t-il. En tant que conseiller muni­ci­pal de la culture, ils savaient que j’exerçais une charge poli­tique. » Pour avoir orga­ni­sé le scru­tin, il est accu­sé de déso­béis­sance aux auto­ri­tés espa­gnoles, qui avaient ordon­né l’interdiction du référendum.

Actuellement, il refuse de se pré­sen­ter devant les juges, par tac­tique. Au moment de son arres­ta­tion, il dit avoir été frap­pé par des agents. Ses avo­cats veulent ain­si dénon­cer la res­pon­sa­bi­li­té de la police. Une stra­té­gie qui pour­rait, si elle fonc­tionne, le blan­chir : « En cas de condam­na­tion, je risque de perdre le droit de tra­vailler dans l’administration publique pen­dant dix ans ». Jordi Pesarrodona ne s’at­ten­dait pas à de telles consé­quences : « C’est la pre­mière fois qu’un membre de “Clown Sans Frontières” est vic­time de représ­sion. J’ai reçu des cen­taines de mes­sages de menaces de mort, pro­ve­nant prin­ci­pa­le­ment du reste de l’Espagne, regrette-t-il. Au début, je voyais le dan­ger par­tout. Maintenant, je com­mence à vivre à nou­veau normalement. »

Sant Joan de Vilatorrada. Jordi Pesarrodona. ©Document remis

Le comé­dien Eduard Biosca a éga­le­ment été confron­té à l’in­tran­si­geance des auto­ri­tés espa­gnoles sur la ques­tion du réfé­ren­dum. En octobre der­nier, il impro­vise une blague sur la prin­ci­pale chaîne de radio cata­lane (RAC 1). Un article du quo­ti­dien El Pais raconte que la Guardia civil va devoir emprun­ter des bateaux infes­tés de ron­geurs pour se rendre à Barcelone, afin d’empêcher le scru­tin. L’humoriste s’en empare et com­pare la police espa­gnole à des rats. « Cette plai­san­te­rie m’a pro­vo­qué beau­coup d’ennuis. J’ai été convo­qué pour injure, déplore-t-il. J’ai été triste et sur­pris. Il y a des jours où je n’ai pas réus­si à dor­mir. » Le délit d’in­jure, action ou expres­sion por­tant atteinte à la digni­té d’une autre per­sonne selon l’ar­ticle 208 du Code pénal espa­gnol, est pas­sible de deux ans de pri­son en Espagne. Pour évi­ter une telle condam­na­tion, l’ac­teur et ses avo­cats ont avan­cé deux argu­ments : la liber­té d’ex­pres­sion et l’in­ter­pré­ta­tion de la farce par un per­son­nage fic­tif, le Senyor Bohigues, incar­na­tion du pilier de bar cata­lan. Eduard Biosca a fina­le­ment été innocenté.

Un élu en marge de la loi

Argentona, 21 février 2018. Eudald Calvo, maire d’Argentona, dans son bureau. ©Laurène Trillard

Vêtu d’un pan­ta­lon chi­no et d’un pull en laine, chaus­sé de bas­kets bleu roi, Eudald Calvo est le maire d’Argentona. On accède à ce petit vil­lage indé­pen­dan­tiste de 12 000 habi­tants après avoir lon­gé la mer et sillon­né une étroite route de mon­tagne. Le jeune tren­te­naire nous reçoit pour nous expo­ser ses pro­blèmes judi­ciaires. Dans son bureau, le dra­peau cata­lan a fait dis­pa­raître celui de l’Espagne, caché au fond d’un pla­card. De même, le por­trait de Carles Puigdemont a chas­sé celui du roi Felipe VI, une pro­vo­ca­tion qu’il recon­naît illé­gale. Mais ce n’est pas la rai­son de ses tra­cas : « J’ai don­né l’ordre aux Mossos de ne pas empê­cher l’organisation du réfé­ren­dum, explique-t-il, insou­ciant. Cela m’a valu d’être mis en cause pour un délit de pré­va­ri­ca­tion. » En d’autres termes, il a igno­ré les auto­ri­tés natio­nales qui exi­geaient la sus­pen­sion du réfé­ren­dum. Et a failli à son devoir d’o­béis­sance envers l’Etat cen­tral. « Personnellement, je ne consi­dère pas avoir com­mis un délit », argue l’é­dile. Il se féli­cite même d’avoir répon­du absent à la convo­ca­tion du juge. « Je ne recon­nais pas la jus­tice espa­gnole, qui est indis­so­ciable du pou­voir poli­tique », mar­tèle le jeune homme, membre du par­ti d’extrême-gauche Candidatura d’Unitat Popular (CUP, Candidature d’u­ni­té populaire).

La veille de notre ren­contre, Eudald Calvo a reçu un cour­rier lui indi­quant l’abandon des pour­suites :« Les auto­ri­tés ont consi­dé­ré que mes ordres avaient été for­mu­lés de manière indi­recte ». Mais sa situa­tion n’est pas tout à fait réso­lue : « Le tri­bu­nal suprême à Madrid mène une enquête sur les dépu­tés et les élus, précise-t-il. Je sais que je suis dans la liste des per­sonnes sur les­quelles une enquête pour­rait être ouverte ». Pour autant, le jeune maire reste serein : « Personne n’aime être accu­sé, mais je n’ai pas peur ». Il est sou­te­nu au sein de sa com­mune. Le jour du vote, le « oui » à l’in­dé­pen­dance l’a empor­té à plus de 90%. Une ribam­belle de rubans jaunes accro­chés aux arbres flottent dans le vent. Des bou­gies rouges dépo­sées sur le feuillage jaune brillent dans la nuit. Et de nom­breux dra­peaux cata­lans sont sus­pen­dus aux balcons.

Argentona. 21 février 2018. Drapeau en faveur de l’in­dé­pen­dance accro­ché sur le bal­con d’un habi­tant. ©Laurène Trillard 

Une multiplication de procédures qui interroge

D’autres affaires simi­laires sont appa­rues dans la fou­lée du réfé­ren­dum. Dans le pay­sage judi­ciaire espa­gnol, les pro­fes­sion­nels s’é­tonnent des moti­va­tions juri­diques de ces convo­ca­tions. Même Xavier Arbos, pro­fes­seur de droit à l’Université de Barcelone et oppo­sé à l’in­dé­pen­dance, s’in­quiète de la tour­nure des évè­ne­ments : « On juge sur une idéo­lo­gie poli­tique. » Salué pour sa capa­ci­té à décryp­ter avec recul la crise cata­lane, il insiste : « être indé­pen­dan­tiste, c’est légal. Le plu­ra­lisme poli­tique figure à l’ar­ticle 1 de la consti­tu­tion espa­gnole. » Pour l’a­vo­cate et indé­pen­dan­tiste Júlia Samsó Lucas, la pro­li­fé­ra­tion de ces convo­ca­tions « a voca­tion à faire peur ». Et dans le cas d’Edouard Biosca, auteur de la blague sur les rats, cela a fonc­tion­né : « Dans le futur, je dirai pro­ba­ble­ment les choses de manière moins directe. »

Travail enca­dré par Alain Salles, Henry de Laguérie, Cédric Rouquette et Cédric Molle-Laurençon.

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Rubrique : Vivre la criseMots-clés : indépendance, catalogne, barcelone, argentona, justice

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