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Le média de la CFJ72 à Barcelone

L’Église catalane face au schisme indépendantiste

La ques­tion de l’in­dé­pen­dance de la Catalogne divise pro­fon­dé­ment l’Église dans la région. Entre de nom­breux prêtres, par­ti­sans d’une République cata­lane, et l’é­pis­co­pat qui défend une Espagne uni­fiée, il semble aujourd’­hui dif­fi­cile de récon­ci­lier les deux bords. Societat est par­ti à la ren­contre des acteurs de cette crise.

Écrit par Romain Houg Enquête de Romain Houg et Gaspard de Florival, à Calella
Publié le 6 mars 201814 mars 2018
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L’indépendance y est atten­due comme le mes­sie. À 50 kilo­mètres au nord de Barcelone, la cité bal­néaire de Calella est pai­sible. Les quelques habi­tants de sor­tie vont au café, dis­cutent sur un banc ou pro­fitent du soleil. La plage, bon­dée la sai­son esti­vale, est qua­si­ment déserte. Seul le remous des vagues, ani­mé par le vent froid de février, brise le silence de la côte. Rien ne laisse pré­sa­ger qu’au cœur de cette petite ville, une révolte gronde.

Calella, 24 février 2018. Le clo­cher de l’é­glise est aux cou­leurs du dra­peau cata­lan. ©Romain Houg

Lorsque l’on s’approche de la place de l’é­glise, il est pour­tant facile de s’en rendre compte. Le clo­cher est dra­pé de rouge et de jaune. Il affiche fiè­re­ment les cou­leurs du dra­peau cata­lan. Les portes royales sont ornées d’un impo­sant ruban jaune, sym­bole de l’in­di­gna­tion face à l’in­car­cé­ra­tion, en novembre der­nier, des lea­ders indé­pen­dan­tistes et de la moi­tié de l’an­cien gou­ver­ne­ment Puigdemont, ex-président de la Generalitat (Généralité) de Catalogne et actuel­le­ment en exil en Belgique.

« Je ne me suis jamais senti Espagnol »

Cette église est à l’i­mage de son curé. Lorsqu’il pénètre sur la place, Cinto Busquet est recon­nu de tous. L’homme aux che­veux gri­son­nants s’ap­proche d’un vieillard en fau­teuil rou­lant, lui serre la main, puis échange quelques mots avec lui avant de s’ap­pro­cher de deux femmes, auprès des­quelles il exerce le même rituel. Épinglé au pli de sa veste noire, un ruban dont le jaune détonne. Dans un large sou­rire, il ouvre la porte du bureau parois­sial qui jouxte l’aile ouest de l’é­glise. Au mur, une croix en bois, une mosaïque du Christ et une pho­to de lui en com­pa­gnie de Benoit XVI. C’est un prêtre enga­gé qui s’installe à la table. L’un de ces nom­breux enga­ge­ments qui font de l’Église cata­lane une Église frac­tu­rée entre indé­pen­dan­tisme et unionisme. 

À 56 ans, celui qui a obte­nu son diplôme de théo­lo­gie au Japon a fait de l’in­dé­pen­dance de la Catalogne son com­bat. « Je ne me suis jamais sen­ti Espagnol », lance-t-il. Sa famille, ses amis, et la quasi-totalité de son entou­rage par­tagent ce sentiment.

Calella, 24 février 2018. Cinto Busquet, prêtre de la paroisse, milite pour l’in­dé­pen­dance de la Catalogne. ©Romain Houg

« Pendant 40 ans, nous avons connu une dic­ta­ture qui a ten­té de faire dis­pa­raître toute iden­ti­té cata­lane, sa culture, sa langue, énumère-t-il. Il n’est pas ques­tion que l’on nous prive à nou­veau de notre sou­ve­rai­ne­té. » De 1939 à 1975, l’Espagne était plon­gée dans la dic­ta­ture fran­quiste et le national-catholicisme régnait. A cette période, l’Église défen­dait les inté­rêts de l’État, et l’État ceux de l’Église. La sépa­ra­tion stricte entre les deux enti­tés n’a été appli­quée qu’en 1978, à la signa­ture de la Constitution ins­tau­rant la monar­chie par­le­men­taire, après la mort du dic­ta­teur. « L’Église de Catalogne a une longue his­toire liée à l’i­den­ti­té de la région, déclare-t-il. Sous le régime de Franco, l’ab­baye de Montserrat conti­nuait à édi­ter clan­des­ti­ne­ment des ouvrages en cata­lan et beau­coup de paroisses accueillaient des réunions secrètes du mou­ve­ment cata­la­niste. » 

Doctrine sociale de l’Église

Le citoyen comme le prêtre épouse avec fer­veur la cause indé­pen­dan­tiste. Avec des argu­ments dif­fé­rents. « Comme citoyen, je suis convain­cu que la créa­tion d’un nou­vel Etat cata­lan, membre de l’Union euro­péenne, est la meilleure option, explique-t-il. Comme prêtre, je me dois de défendre les droits humains, ins­crits dans la Doctrine sociale de l’Église. » L’invocation de ce texte fon­da­men­tal de la reli­gion catho­lique est l’ar­gu­ment prin­ci­pal des reli­gieux enga­gés pour l’in­dé­pen­dance de la région. Celui-ci s’ap­puie sur quatre prin­cipes majeurs : la digni­té de la per­sonne humaine, le bien com­mun, la sub­si­dia­ri­té et la soli­da­ri­té. « Il est pré­ci­sé dans la Doctrine sociale que les peuples, comme les nations, ont droit à l’au­to­dé­ter­mi­na­tion, explique-t-il, convain­cu. En tant que prêtre, je dois défendre le res­pect du réfé­ren­dum, que l’on vote pour ou contre l’in­dé­pen­dance. C’est un choix qui revient au peuple sou­ve­rain. »

En Catalogne, tous ne par­tagent pas cette fer­veur, à com­men­cer par la plus haute sphère de la hié­rar­chie catho­lique. Dans une note de la Conférence épis­co­pale espa­gnole (CEE), qui regroupe tous les évêques du pays, son pré­sident Ricardo Blazquez a expri­mé une inquié­tude face à l’é­cla­te­ment « de l’ordre consti­tu­tion­nel ».

« Nous croyons que la décla­ra­tion de rup­ture (le réfé­ren­dum du 1ᵉʳ octobre 2017, ndlr) est un fait grave qui atteint notre coexis­tence et va au-delà des diver­gences entre for­ma­tions poli­tiques », écrivait-il le 20 novembre 2017. L’unité avant tout, tel est le leit­mo­tiv de l’é­pis­co­pat. Seul Xavier Novell, évêque du dio­cèse de Solsonna, avait décla­ré en juin que « le droit des peuples à déci­der de leur sort [était] plus impor­tant que l’unité de l’Espagne » et invi­tait tous les fidèles à par­ti­ci­per « au pro­ces­sus démo­cra­tique pour le déve­lop­pe­ment d’une nou­velle Constitution. » Depuis, tous sont ali­gnés sur la posi­tion offi­cielle de la CEE. Malgré de mul­tiples sol­li­ci­ta­tions, aucun de la ving­taine d’é­vêques de la région contac­tés n’a sou­hai­té réagir et cha­cun d’entre eux ren­voie auto­ma­ti­que­ment à ladite note.

Barcelone, 22 février 2018. Deux soeurs déam­bulent dans le cloître de la cathé­drale Sainte-Croix. ©Romain Houg

C’est cette posi­tion, inflexible, qui a ache­vé de convaincre Cinto Busquet de s’a­dres­ser direc­te­ment au pape François. Dès sep­tembre, à son ini­tia­tive, plus de 400 reli­gieux espa­gnols, dont 90 prêtres et 40 diacres, ont envoyé une lettre au Vatican. Dans cette mis­sive, un mes­sage : « Nous consi­dé­rons, à la vue des cir­cons­tances, que le réfé­ren­dum est légi­time et néces­saire ». Cet appel au sou­ve­rain pon­tife est res­té lettre morte. « Le Vatican adopte une pos­ture diplo­ma­tique et refuse de choi­sir l’un des deux camps », explique le curé de Calella.

« L’indépendantisme est une option folle »

« En réa­li­té, le Vatican est oppo­sé à l’in­dé­pen­dance », affirme Josep Miro i Ardévol. Le sep­tua­gé­naire est pré­sident de E‑cristians, une asso­cia­tion basée en proche ban­lieue ouest de Barcelone. Elle a pour objec­tif affi­ché de « pro­mou­voir la chré­tien­té dans la vie publique ». Sur le comp­toir de sa secré­taire trône, bien en évi­dence, une pho­to­gra­phie de lui et du pape François, main dans la main. « C’est une crise interne à l’Espagne, un pape d’Amérique du Sud ne peut pas com­prendre toute cette his­toire », développe-t-il. Cet argu­men­taire flou n’est pas sans rap­pe­ler une cer­taine langue de bois poli­tique. L’homme fut un temps dépu­té du par­ti auto­no­miste de centre-droit Convergencia demo­cra­ti­ca de Catalunya (CDC, Convergence démo­cra­tique de Catalogne).

« L’indépendantisme est une option com­plè­te­ment folle, je crois que ce n’est ni viable éco­no­mi­que­ment, ni oppor­tun », assure Josep Miro. Chez E‑cristians, « l’u­ni­té et la concorde » priment. Comprendre : la conser­va­tion du sta­tut auto­no­miste de la région, soit la ligne défen­due par la CEE. « Les évêques, en affi­chant leur conver­gence vers l’u­nion de l’Espagne, ont réa­li­sé avec suc­cès une tâche dif­fi­cile, souligne-t-il. Les catho­liques, eux, sont divi­sés. »

Les évêques espa­gnols ne se sont pas tou­jours ras­sem­blés sous l’étendard unio­niste. Dans une lettre épis­co­pale de 1985, la CEE recon­nais­sait l’exis­tence d’une nation cata­lane. Et si l’on en croit la doc­trine sociale de l’Église, qui dit nation dit droit à l’au­to­dé­ter­mi­na­tion et donc au référendum.

L’indépendance est « inévitable »

Ce retour­ne­ment de veste, Cristians per la Independència (Chrétiens pour l’indépendance) l’a aus­si remar­qué. Mais ce qui a sur­tout déran­gé les membres de cette asso­cia­tion catho­lique sépa­ra­tiste, c’est la récente décla­ra­tion d’un évêque de la Conférence. « L’évêque a pla­cé l’u­ni­té de l’Espagne en tant que valeur, au des­sus de la doc­trine sociale de l’Église, qui est la base de l’ac­tion catho­lique, lance fer­me­ment Arnau. C’est into­lé­rable. »

Ce chré­tien de 56 ans, chi­miste de for­ma­tion, est l’un des coor­di­na­teurs de l’as­so­cia­tion, branche chré­tienne de l’Assemblée cata­lane pour l’in­dé­pen­dance. Il est accom­pa­gné de Josep, comp­table de 60 ans, et de Michael, pro­fes­seur de reli­gion de 62 ans. Dans un modeste local de l’é­pi­centre bar­ce­lo­nais, au deuxième étage d’un immeuble vétuste, ils pla­ni­fient leurs actions, et échangent par­fois tar­di­ve­ment à pro­pos des moyens à mettre en œuvre pour ini­tier « une prise de conscience » des chré­tiens cata­lans. Au menu, des réunions publiques, dans la capi­tale cata­lane comme en pro­vince, et des ate­liers de réflexion durant les­quels sont dis­tri­bués des poèmes, des prières, et tout autre sup­port per­met­tant aux Catalans de « réflé­chir par eux-mêmes ». « Si nous leur don­nons les moyens d’ou­vrir les yeux sur le fait que nous pos­sé­dons ce droit inalié­nable à l’au­to­dé­ter­mi­na­tion, l’in­dé­pen­dance se fera auto­ma­ti­que­ment et paci­fi­que­ment », affirme Josep. Ce catho­lique aux che­veux blancs parle avec convic­tion, pesant cha­cun de ses mots.

Calella, 24 février 2018. La cha­pelle de la cité bal­néaire. ©Romain Houg

Si les évêques ne sont pas sen­sibles à la cause cata­lane, c’est selon lui parce qu’ils ne sont eux-mêmes pas Catalans. « Le mode de nomi­na­tion des évêques pose pro­blème, explique Josep, en effleu­rant du doigt le ruban jaune qu’il porte à son gilet. Ce sont les ambas­sa­deurs du Vatican qui les choi­sissent. Résultat : cer­tains évêques de la région ne sont pas nés en Catalogne. »

Lorsqu’on leur parle de Josep Miro i Ardévol et de son hos­ti­li­té aux mou­ve­ments indé­pen­dan­tistes, un silence s’ins­talle. « Dans ce cas, pour­quoi n’a-t-il jamais dénon­cé avec la même viru­lence les prêches unio­nistes ? », fuse Michael.

À l’i­mage de la socié­té cata­lane,  le cler­gé se déchire sur la ques­tion de l’in­dé­pen­dance. Mais tous s’ac­cordent à dire que le retour au calme sera long. « C’est une crise grave, lâche solen­nel­le­ment Josep Miro. Tant que les indé­pen­dan­tistes vivront dans cette réa­li­té illu­soire, le conflit sera figé. » « Je rêve­rais que l’in­dé­pen­dance soit pro­cla­mée dès demain, assure quant à lui Arnau des Chrétiens pour l’in­dé­pen­dance. Malheureusement, le sta­tu quo sera pro­lon­gé tant que le gou­ver­ne­ment cen­tral blo­que­ra le pro­ces­sus. Quoi qu’il en soit, elle est inévi­table. »

La frac­ture est pro­fonde mais, pour Cinto Busquet, la Catalogne indé­pen­dante est la seule issue pos­sible. « Le gou­ver­ne­ment espa­gnol a démon­tré qu’il n’é­tait pas capable de res­pec­ter la dif­fé­rence cata­lane. Le pro­jet de répu­blique nous uni­ra et triom­phe­ra dans la paix. » À chaque jour suf­fit sa peine.

 

Pour aller plus loin :

 

Travail enca­dré par Alain Salles, Henry de Laguérie et Cédric Rouquette.

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Rubrique : Dos à dosMots-clés : indépendance, catalogne, église, prêtre, religion, schisme, chrétiens, Vatican, Episcopat, division, fractures

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