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Le média de la CFJ72 à Barcelone

« Lisez des livres en catalan ! » : le combat des éditeurs barcelonais

Dans l’ombre de la lit­té­ra­ture espa­gnole, les publi­ca­tions en cata­lan peinent à trou­ver leur public. Conscient des limites de son mar­ché, le monde du livre bar­ce­lo­nais diver­si­fie son offre pour que la popu­la­tion régio­nale lise davan­tage en cata­lan et délaisse les ouvrages en castillan.

Écrit par Jeanne Daucé Enquête de Clara Cristalli et Jeanne Daucé, à Barcelone
Publié le 3 mars 201815 mars 2018
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« Quand les édi­teurs étran­gers pensent édi­tion en espa­gnol et en cata­lan, ils savent qu’il faut regar­der vers Barcelone ». Attablé au café de la librai­rie “Laie”, le Café de Flore bar­ce­lo­nais, Àlex Susanna, écri­vain et ancien direc­teur de l’Institut Ramon Llull, orga­nisme char­gé de pro­mou­voir la culture cata­lane à l’international, confirme les chiffres de la Fédération des syn­di­cats des édi­teurs espagnols.

En 2017, sur 87 000 titres publiés en Espagne, 35 % (30 000) ont été édi­tés en Catalogne. La capi­tale, Madrid, est relé­guée à la deuxième place, avec 30 % de la pro­duc­tion nationale.

Mais sur­prise : la Catalogne ne publie qu’un livre sur quatre dans sa langue offi­cielle. Lunettes rouges posées sur le nez, Montsé Ayats, l’énergique pré­si­dente de l’Associació d’Editors en Llengua Catalana (AELLC, Association des Éditeurs en langue cata­lane), pré­cise que, « sur sept mil­lions de Catalans, seuls 27 % lisent dans cette langue. »

Sur sept millions de Catalans, seuls 27 % lisent dans cette langue – Montsé Ayats, présidente de l’AELLC

Ce désa­veu des ouvrages en cata­lan est dif­fi­cile à accep­ter pour les édi­teurs dans cette langue. Ceux-ci se mobi­lisent pour atteindre un objec­tif clair : diver­si­fier leurs publi­ca­tions pour per­mettre aux Catalans de lire le plus pos­sible en cata­lan, et de délais­ser du même coup les livres en espagnol.

https://twitter.com/joansalatorrent/status/964416215107059712

« Lisez des livres en cata­lan ! » – Joan Sala, direc­teur de la mai­son d’édition Comanegra

C’est le cas de Jordi Raventós. Il est le fon­da­teur d’Adesiara, qui publie les clas­siques de la lit­té­ra­ture en cata­lan. Dans ses mains, il tient ce qui sera peut-être sa pro­chaine tra­duc­tion : un essai de Paul Valéry, Tel Quel. Pour cet édi­teur, comme pour cer­tains de ses col­lègues, publier en cata­lan est une évi­dence mais aus­si une reven­di­ca­tion poli­tique, « un acte de résis­tance ».

Peu importe la dure réa­li­té du mar­ché, explique Jordi Raventós : « Un ouvrage en cata­lan qui se vend à 1 000 exem­plaires se ven­drait à 4 000, 5 000 exem­plaires en cas­tillan. Je sais que Bérénice de Racine mar­che­ra peu, mais il est indis­pen­sable de le rendre acces­sible en cata­lan aux lec­teurs ».

Librairie “Laie”, Barcelone, 26 février 2018. Les coups de cœur des libraires en cas­tillan comme en cata­lan. ©Jeanne Daucé

Dans son bureau de l’Université auto­nome de Barcelone, où sont affi­chés emplois du temps et tracts récla­mant la libé­ra­tion des pri­son­niers poli­tiques, Fransesc Foguet, pro­fes­seur de phi­lo­lo­gie, explique que les édi­teurs cherchent à « don­ner un nou­veau souffle » à une lit­té­ra­ture cata­lane domi­née par le castillan.

Depuis une dizaine d’an­nées, de nom­breuses mai­sons indé­pen­dantes, comme Adesiara, ont vu le jour dans la région bar­ce­lo­naise. Leur but : élar­gir l’offre d’ou­vrages en cata­lan et ten­ter de gagner du ter­rain face au cas­tillan. Exemple avec la mai­son d’édition Males Herbes, créée en 2012, qui publie du fan­tas­tique et de la science-fiction. Jusque-là, les lec­teurs avaient pour seule pos­si­bi­li­té de lire ces ouvrages en espagnol.

Le boom de l’édition en catalan

Barcelone, 21 février 2018. Abel Cutillas dans sa librai­rie “Calders”. ©Clara Cristalli

Ce dyna­misme édi­to­rial en cata­lan, Abel Cutillas en témoigne. Ce qua­dra­gé­naire à la barbe gri­son­nante co-dirige la librai­rie “Calders”, dans le quar­tier Sant Antoni. Il observe depuis une dizaine d’années « une effer­ves­cence lit­té­raire en Catalogne, por­tée par une géné­ra­tion d’écrivains, d’éditeurs, de libraires et de lec­teurs dési­reux de faire connaître de nou­veaux auteurs » et de nou­velles thématiques.

Chez les pro­fes­sion­nels du livre, finie l’obsession d’il y a 20 ou 30 ans pour les best sel­lers publiés en cas­tillan, assu­rés de rap­por­ter gros : les édi­teurs diver­si­fient leur offre, gar­nissent les librai­ries d’ouvrages en cata­lan, quitte à ne vendre que quelques cen­taines d’exemplaires.

Si l’offre en fic­tion est « plu­rielle, très diver­si­fiée », Montsé Ayats, pré­si­dente de l’AELLC, sou­ligne que cer­tains phé­no­mènes manquent à l’appel : « C’est le cas des livres de Youtubers ou de pop culture ». Les droits de ces ouvrages au suc­cès déme­su­ré se négo­cient à prix d’or : un effort bien trop consé­quent pour l’édition cata­lane. À son grand dam, ces publi­ca­tions demeurent le mono­pole des édi­teurs en castillan.

L’internationalisation des ouvrages en catalan

Librairie “Laie”, Barcelone, 26 février 2018. Les ver­sions cas­tillane et cata­lane du livre d’Aldous Huxley, Les Diables de Loudun. © Jeanne Daucé.

Les édi­teurs cata­lans tentent de concur­ren­cer les ouvrages espa­gnols sur un autre ter­rain : celui de la tra­duc­tion de titres étran­gers. En librai­rie, ver­sions cas­tillane et cata­lane sont sou­vent pré­sen­tées l’une à côté de l’autre. Tout un symbole.

La pré­si­dente de l’AELLC, Montsé Ayats, explique que des accords ont été conclus entre édi­teurs pour mettre les deux tra­duc­tions sur un pied d’égalité : « Il y a quelques années, le prix des livres étran­gers tra­duits en cata­lan était plus éle­vé qu’en cas­tillan : le lec­teur ache­tait la ver­sion moins coû­teuse. Désormais, les deux ver­sions sortent le même jour et au même prix ».

Cette appé­tence pour les ouvrages étran­gers mobi­lise aus­si les grandes mai­sons. Chez Anagrama, mai­son bilingue qui publie Michel Houellebecq ou Amélie Nothomb, Isabel Obiols, édi­trice des livres en cata­lan, estime que 60 à 90 % de sa col­lec­tion sont des traductions.

300 000 euros par an du gouvernement régional

Pour enri­chir l’offre d’ou­vrages en cata­lan, le gou­ver­ne­ment régio­nal sou­tient les pro­jets de tra­duc­tion à hau­teur de 300 000 euros annuels. C’est le signe d’une volon­té ins­ti­tu­tion­nelle de concur­ren­cer les tra­duc­tions cas­tillanes, autre­fois seule pos­si­bi­li­té pour le public cata­lan de lire le der­nier best sel­ler ou de grands clas­siques étrangers.

Pour obte­nir cette aide, l’éditeur doit prou­ver l’intérêt du livre pour le mar­ché cata­lan : « Environ la moi­tié des dix à qua­torze titres annuels d’Adesiara sont sub­ven­tion­nés, détaille Jordi Raventós. Nous tou­chons 800 à 1 500 euros de sub­ven­tion pour un pro­jet de 5 000 euros. C’est mieux que rien. »

Joan Sala salue cette ini­tia­tive gou­ver­ne­men­tale. Il est le direc­teur de Comanegra, mai­son d’édition indé­pen­dante ins­tal­lée dans une ancienne usine de pou­pées de por­ce­laine : « Quand une mai­son acquiert une œuvre étran­gère, elle tend à se tour­ner vers le mar­ché cas­tillan, où les frais de tra­duc­tion seront plus vite amor­tis que sur le mar­ché cata­lan. Les sub­ven­tions évitent ce dilemme et incitent à tra­duire davan­tage en cata­lan. »

Le bilinguisme des éditeurs catalans

Malgré ce sou­tien ins­ti­tu­tion­nel, la domi­na­tion de l’espagnol demeure net­te­ment : chez Anagrama, Soumission de Michel Houellebecq s’est ven­du à 60 000 exem­plaires en espa­gnol contre seule­ment 5 000 en catalan.

La rai­son tient au mar­ché. Le mar­ché his­pa­no­phone, entre l’Espagne et l’Amérique latine, repré­sente 100 mil­lions de lec­teurs. Le mar­ché du livre cata­lan ne concerne que 7 mil­lions de locu­teurs : moins d’un tiers lisent en cata­lan alors que 71 % d’entre eux lisent en cas­tillan. Difficile dans ce contexte de s’y retrou­ver finan­ciè­re­ment pour les mai­sons d’é­di­tion en langue catalane.

Ces der­nières en sont conscientes et font preuve de prag­ma­tisme. Nombreux sont les édi­teurs à publier une par­tie de leurs ouvrages en cas­tillan, y com­pris les plus ardents défen­seurs de la langue cata­lane, comme Joan Sala.

Barcelone, 21 février 2018. Joan Sala dans les bureaux de Comanegra. ©Clara Cristalli

Pour ne pas se cou­per du mar­ché his­pa­no­phone, 30 % des ouvrages de Comanegra sont publiés en espa­gnol : « Notre plus grand suc­cès en cas­tillan est la tra­duc­tion d’un roman japo­nais, La ley del espe­ro, qui s’est écou­lé à 140 000 exem­plaires. À l’inverse, notre meilleure vente en cata­lan atteint 14 000 exem­plaires, avec Barcelona pam a pam, un livre consa­cré à l’his­toire de Barcelone », explique Joan Sala. Soit une pro­por­tion dix fois inférieure.

Pourtant, Joan Sala nie le fait que publier en cata­lan soit ris­qué. Pour lui, cibler un public res­treint n’est pas syno­nyme de défaillance. Il prend pour modèle le mar­ché du livre islan­dais, très actif à l’étranger « mais qui ne repré­sente que 300 000 lec­teurs poten­tiels » au niveau national.

Une exportation des œuvres complexe

Mais, contrai­re­ment à la lit­té­ra­ture islan­daise, en état de grâce depuis le début des années 2010, l’édition cata­lane peine à expor­ter ses titres. Un pré­ju­dice de taille pour ce mar­ché régio­nal qui se rêve inter­na­tio­nal. L’auteur Jaume Cabré, vedette de la lit­té­ra­ture cata­lane, tra­duit dans près de 25 langues, fait figure d’exception.

Montsé Ayats jus­ti­fie la réti­cence des mai­sons étran­gères par la rare­té de la langue cata­lane : « Les édi­teurs ne parlent pas cata­lan et doivent faire tra­duire une par­tie de l’œuvre pour com­prendre le texte ». Un coût impor­tant pour l’éditeur fran­çais ou anglais, qui n’est alors pas cer­tain d’acheter les droits du titre.

Pour inci­ter les édi­teurs étran­gers par­fois fri­leux à publier des œuvres cata­lanes, l’Institut Ramon Llull finance en par­tie les tra­duc­tions de livres cata­lans à l’international. Des com­mis­sions indé­pen­dantes déter­minent le mon­tant de l’aide notam­ment selon l’importance de l’œuvre et la qua­li­té de la tra­duc­tion. Entre 2002 et 2013, l’Institut a finan­cé plus de 800 tra­duc­tions, pour un total de 2,5 mil­lions d’euros.

Pour pour­suivre ce phé­no­mène jugé encou­ra­geant, les édi­teurs cata­lans se démènent pour être conviés aux salons inter­na­tio­naux – à Paris, Québec ou encore Göteborg.

Mais le point d’orgue de cette ouver­ture inter­na­tio­nale est inter­ve­nu en 2007 : la Catalogne fut invi­tée d’honneur de la prin­ci­pale foire d’éditeurs du monde, à Francfort. Cette année-là, 145 titres cata­lans ont été tra­duits à l’étranger, un record. « Il y a un avant et un après Francfort : depuis 2007, 100 à 125 titres cata­lans sont tra­duits chaque année », glisse Àlex Susanna avec une pointe de fier­té – en tant que direc­teur de l’Institut Ramon Llull, il avait œuvré pour obte­nir cette invitation.

Café-librairie “Laie”, Barcelone, 21 février 2018. Àlex Susanna explique la récep­tion de la lit­té­ra­ture cata­lane à l’é­tran­ger. ©Clara Cristalli & Jeanne Daucé

Et quand les Catalans ne vont pas à l’étranger, c’est l’édition inter­na­tio­nale qui vient à Barcelone. Joan Sala, de Comanegra, est aus­si pré­sident de La Setmana del Llibre en Català (La Semaine du Livre en cata­lan). Il se féli­cite de la pré­sence d’une ving­taine d’éditeurs étran­gers à l’édition 2017.

Ces marques d’intérêt font dire à Àlex Susanna que « le cata­lan appar­tient désor­mais à la pre­mière divi­sion des lit­té­ra­tures euro­péennes, pour faire une com­pa­rai­son foot­bal­lis­tique ». Il sou­haite désor­mais la recon­nais­sance à sa juste valeur de « cette lit­té­ra­ture natio­nale dépour­vue d’un État ». Toutefois, l’édition cata­lane semble encore loin de s’imposer face à l’écrasant mar­ché cas­tillan – le sta­tut régio­nal de sa langue l’handicape pour jouer sur un pied d’é­ga­li­té avec l’espagnol.

Fransesc Foguet, pro­fes­seur de phi­lo­lo­gie, sou­haite que la lit­té­ra­ture cata­lane ne soit plus consi­dé­rée comme « exo­tique ». Un adjec­tif qui laisse entendre les nom­breux défis qui attendent le monde du livre en catalan.

Travail enca­dré par Alain Salles, Henry de Laguérie, Cédric Rouquette et Cédric Molle-Laurençon.

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Rubrique : Des mots qui comptentMots-clés : indépendance, catalogne, catalan, castillan, littérature, livre, librairie, lecteur, édition, publication

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