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Le média de la CFJ72 à Barcelone

Les avocats catalans à l’assaut des failles du droit espagnol

Les avo­cats indé­pen­dan­tistes pro­fitent de la confu­sion pro­vo­quée par le réfé­ren­dum d’autodétermination pour mettre en cause la légi­ti­mi­té de la jus­tice espa­gnole. Entre mili­tants pour­sui­vis pour des motifs contes­tés et images de vio­lences poli­cières multi-diffusées, tout le sys­tème judi­ciaire espa­gnol est per­tur­bé par la crise.

Écrit par Elena Louazon Enquête de Laurène Trillard et Elena Louazon, à Barcelone
Publié le 7 mars 201814 mars 2018
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Sergio Blàzquez, avo­cat indépendantiste

« A mes clients, je dis : “Rien de ce que vous avez com­mis n’est un délit, et nous allons nous rendre chez le juge pour lui expli­quer”. » Sergi Blàzquez, avo­cat bar­ce­lo­nais et mili­tant indé­pen­dan­tiste, a le ton grave. Depuis la cam­pagne pour le réfé­ren­dum sur l’indépendance de la Catalogne, le 1er octobre 2017, une quin­zaine de par­ti­cu­liers lui ont deman­dé de les défendre. Teresa Vidal, membre de l’association cultu­relle Òmnium Cultural, a col­lé des affiches indé­pen­dan­tistes dans les rues de sa ville en ban­lieue de Barcelone. Des voi­sins l’ont dénon­cée, elle a été pour­sui­vie pour “déso­béis­sance”, et “pré­va­ri­ca­tion”. Des délits nor­ma­le­ment réser­vés aux fonc­tion­naires, ce qui a per­mis à son avo­cat d’obtenir l’annulation de la pro­cé­dure. « Ces pour­suites sont un moyen de mettre une pres­sion poli­tique », dénonce-t-il.

Puisqu’il y a des enjeux politiques et idéologiques derrière les poursuites, il faut aussi déployer des arguments politiques – Sergi Blàzquez, avocat indépendantiste

La volon­té des auto­ri­tés d’empêcher la tenue du réfé­ren­dum a don­né lieu à de nom­breuses pro­cé­dures en jus­tice. Les clas­se­ments sans suite ont été nom­breux éga­le­ment, la faute à des fon­de­ments juri­diques contes­tables. Dans la ville de Reus, au sud de Barcelone, un gara­giste est actuel­le­ment pour­sui­vi pour “inci­ta­tion à la haine”. A la fin du mois de jan­vier, il a refu­sé de répa­rer le véhi­cule per­son­nel d’une agent de la police natio­nale, pour pro­tes­ter contre la répres­sion du réfé­ren­dum. Le jour­nal cata­lan La Vanguardia rap­porte que le Procureur géné­ral de l’État, res­pon­sable de la plus haute ins­ti­tu­tion judi­ciaire du pays, a lui-même expri­mé des doutes sur le fon­de­ment de ces pour­suites. Au point de deman­der au gou­ver­ne­ment de cla­ri­fier les cas dans les­quels le délit “d’incitation à la haine” pou­vait être constitué.

Xavier Arbós
Professeur de droit consti­tu­tion­nel à l’Université de Barcelone

« Les pour­suites enga­gées qui touchent à des ques­tions de liber­té d’expression indi­rec­te­ment asso­ciées à la crise cata­lane font pen­ser à une situa­tion assez répres­sive, concède Xavier Arbós, pro­fes­seur de droit consti­tu­tion­nel à l’Université de Barcelone, oppo­sé à l’in­dé­pen­dance de la région. La jus­tice espa­gnole a par exemple consi­dé­ré comme de l’incitation à la haine les mani­fes­ta­tions devant les hôtels où était logée la Guardia civil (l’équivalent de la Gendarmerie), ce qui est clai­re­ment abu­sif. Mais cela ne résulte pas d’une déci­sion volon­taire du gou­ver­ne­ment, contrai­re­ment à ce que disent les indépendantistes. »

Les avo­cats indé­pen­dan­tistes cherchent à démon­trer que la mul­ti­pli­ca­tion des cas simi­laires est le signe d’un usage idéo­lo­gique du droit. « Les avo­cats qui se rendent au tri­bu­nal avec des argu­ments seule­ment juri­diques n’ont pas réus­si à faire quoi que ce soit, aujourd’hui leurs clients sont en pri­son, argu­mente Sergi Blàzquez. Puisqu’il y a des enjeux poli­tiques et idéo­lo­giques der­rière les pour­suites, il faut aus­si déployer des argu­ments politiques. »

Des poursuites discutées

Les avo­cats peuvent pour cela s’appuyer sur les diver­gences quant à l’interprétation de la loi. L’enjeu est de savoir si les motifs pour les­quels les diri­geants cata­lans sont pour­sui­vis sont exces­sifs. Avocats et juristes de tout le pays se pas­sionnent pour ces ques­tions depuis cinq mois. Chacun livre son ana­lyse à coups de tri­bunes et lettres ouvertes, car la réponse est d’im­por­tance : selon la pro­cé­dure enga­gée, le tri­bu­nal com­pé­tent n’est pas le même, et les indé­pen­dan­tistes sou­hai­te­raient com­pa­raître devant un tri­bu­nal local en Catalogne plu­tôt que devant une juri­dic­tion nationale.

« L’État engage des pour­suites qui ne sont pas appli­cables, s’indigne Joan Queralt, direc­teur du dépar­te­ment de Droit à l’Université de Barcelone. Les actions en jus­tice pour rébel­lion ou sédi­tion qui sont menées contre cer­taines per­son­na­li­tés poli­tiques néces­sitent qu’il y ait eu une action publique et vio­lente. Or aucun de ces deux cas n’est réuni. C’est un abus de pou­voir clair, une véri­table injus­tice », dénonce le spé­cia­liste de droit pénal, ouver­te­ment pro-indépendance.

Il est rejoint dans son ana­lyse par plus d’un mil­lier de juristes et d’avocats. Dans un mani­feste publié à la fin du mois d’octobre à l’initiative du col­lec­tif de juristes indé­pen­dan­tistes Praga, ils ont dénon­cé la déten­tion pro­vi­soire du pré­sident de l’Assemblea nacio­nal de Catalunya (ANC, Assemblée natio­nale de Catalogne), Jordi Sànchez et de Jordi Cuixart, le pré­sident de l’association de défense cata­lane Òmnium. Accusés de “sédi­tion”, “rébel­lion” et “détour­ne­ment de fonds”, ils sont en pri­son depuis le 16 octobre. Les signa­taires dénoncent les motifs des pour­suites, qu’ils jugent exa­gé­rés, mais aus­si la juri­dic­tion char­gée de juger les diri­geants cata­lans. Ils demandent que les deux hommes soient jugés au Tribunal supé­rieur de jus­tice de la Catalogne à Barcelone, qui a auto­ri­té sur les délits com­mis dans la région, et non à l’Audiencia nacio­nal à Madrid, en charge des affaires d’at­teinte à l’État espagnol.

En réponse, trois asso­cia­tions de magis­trats et d’avocats ont publié en octobre un com­mu­ni­qué conjoint qui réfute les accu­sa­tions de « jus­tice poli­tique » et réaf­firme « l’indépendance de la jus­tice espa­gnole ».

Scénariser la défense

Eduardo Cáliz
Avocat indé­pen­dan­tiste
Membre de la CUP

Ce flou autour des pour­suites enga­gées est une aubaine pour les avo­cats, qui tentent de s’en ser­vir comme de la preuve d’un achar­ne­ment de la jus­tice. Pour faire exis­ter cette accu­sa­tion hors des tri­bu­naux, ils ont déci­dé de mettre en place des stra­té­gies qui dépassent par­fois lar­ge­ment le cadre du droit.

En décembre 2017, la jus­tice espa­gnole convoque Mireia Boya et Anna Gabriel, deux dépu­tées cata­lanes membres du par­ti d’extrême-gauche Candidatura d’u­ni­tat popu­lar (CUP, Candidature d’u­ni­té popu­laire). Les avo­cats du par­ti se réunissent alors pour mettre en scène leur défense. « On s’est dit qu’il fal­lait mettre en place une stra­té­gie conjointe, pré­cise Eduardo Cáliz, avo­cat indé­pen­dan­tiste membre de la CUP. Une per­sonne au tri­bu­nal, pour affir­mer que le 1er octobre s’est tenu un vrai réfé­ren­dum d’indépendance. L’autre à l’étranger parce qu’il fal­lait aus­si contes­ter sym­bo­li­que­ment la légi­ti­mi­té du Tribunal suprême. Qu’Anna Gabriel soit à Genève, où se situe le siège des Nations unies, revient à mon­trer publi­que­ment qu’elle est en exil pour des rai­sons politiques ».

En paral­lèle, une plainte pour « vio­la­tion des droits humains » a éga­le­ment été dépo­sée cette semaine auprès du Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, par le col­lec­tif de juristes indé­pen­dan­tistes Praga. Le texte, qui recense sur une qua­ran­taine de pages les irré­gu­la­ri­tés repé­rées, a déjà été pré­sen­té à dif­fé­rents rap­por­teurs des Nations unies au mois de décembre. « On est dans une phase où on tente vrai­ment d’internationaliser notre com­bat auprès des struc­tures légales et juri­diques supra­na­tio­nales, pré­cise Sergi Blàzquez, qui défend le texte devant les ins­ti­tu­tions euro­péennes. On veut dénon­cer la vio­la­tion des droits humains du 1er octobre et l’emprisonnement des dirigeants. »

« Il y a eu un pro­ces­sus de séces­sion uni­la­té­ral, c’é­tait évident qu’il y aurait des pour­suites contre les diri­geants cata­lans, s’agace le juriste Xavier Arbós. C’est comme si la réac­tion répres­sive de l’État per­met­tait de jus­ti­fier des conduites et des actes illégaux. » 

Cette stra­té­gie vise sur­tout un « effet d’amplification ». « Si tu vas témoi­gner devant le juge, il ne se passe rien. Mais si tu ne vas pas témoi­gner et que tu es arrê­té, alors la réac­tion des gens est beau­coup plus forte, ana­lyse Eduardo Cáliz. Ils se rendent compte qu’il y a un pro­blème, que la situa­tion est grave. A chaque convo­ca­tion devant la jus­tice, on cherche à sus­ci­ter une réac­tion de la population. »

Un engagement au long court

Les avo­cats indé­pen­dan­tistes sont habi­tués à poli­ti­ser les affaires qu’ils défendent. Que ce soit pour un dra­peau espa­gnol brû­lé ou un por­trait du roi déchi­ré, cela fait des années que des asso­cia­tions tentent – avec plus ou moins de suc­cès – de trans­for­mer les pro­cès de ces mili­tants en un théâtre pour la recon­nais­sance de la Catalogne.

Sergi Blàzquez, la cin­quan­taine bien tas­sée, a pas­sé la majeure par­tie de sa car­rière à essayer de faire exis­ter une culture cata­lane dans le droit. En paral­lèle de ses acti­vi­tés de défen­seur, il est vice-président du Comité olym­pique cata­lan, dont le but est de faire recon­naître la natio­na­li­té spor­tive cata­lane. Avec une quin­zaine de confrères, il a créé en 2014 l’association Drets (Droits, en cata­lan), une asso­cia­tion d’avocats indé­pen­dan­tistes qui pro­pose une assis­tance juri­dique gra­tuite et pour­suit toute per­sonne qui porte atteinte à l‘identité cata­lane. Un tra­vail de lob­bying que l’avocat assume : « Les Catalans sont insul­tés par toute l’Espagne mais il n’y a jamais de consé­quences, s’agace-t-il. On vou­lait se défendre contre les attaques que nous rece­vons, défendre notre digni­té en tant que peuple, pour qu’il y ait une recon­nais­sance juri­dique de nos droits. »

Son arme : la juris­pru­dence. L’association se vante d’avoir enta­mé des pour­suites contre plus de quatre-cents auteurs de pro­pos insul­tants sur Facebook et Twitter depuis sa créa­tion. Pendant des mois, toutes les plaintes ont été clas­sées sans suite. En mars 2017, pre­mière vic­toire : un jeune homme est condam­né à huit mois de pri­son avec sur­sis pour “inci­ta­tion à la haine”. Dans un tweet, il s’était réjoui du crash du vol Barcelone-Düsseldorf de la Germanwings en 2015, dans lequel sont morts des dizaines de Catalans. La déci­sion ren­due, le site de Drets s’empresse d’annoncer une condam­na­tion de la jus­tice espa­gnole pour « cata­la­no­pho­bie ». En réa­li­té, le jeune homme a été condam­né pour un ensemble de tweets racistes et sexistes décou­verts au cours de l’enquête. Peu importe, la vic­toire est belle : les médias reprennent en boucle cette pre­mière condam­na­tion pour des tweets « cata­la­no­phobes ».

Avec le réfé­ren­dum, les avo­cats ont chan­gé de stra­té­gie, et lais­sé de côté la défense de l’identité. Les avo­cats de Drets ont réuni des dizaines de témoi­gnages de civils qui accusent des membres de la Guardia civil de vio­lences le jour du réfé­ren­dum. Deux plaintes col­lec­tives ont été dépo­sées en jan­vier, une par la CUP, l’autre par Drets, pour “vio­lences”. Eduardo Cáliz, qui défend l’un des deux groupes, concède : « Il y a peu de chances que cela abou­tisse. Mais pour nous, il y a un aspect juri­dique et un aspect poli­tique. L’important, ce n’est pas que la plainte soit trai­tée par un juge, c’est que nous ayons réagi. »

En feuille­tant le rap­port d’activité de Drets pour l’année 2017, Sergi Blàzquez s’enthousiasme : « Avec le réfé­ren­dum, on a chan­gé nos objec­tifs, se réjouit-il. Avant, on défen­dait l’identité cata­lane. Maintenant, on attaque ».

Travail enca­dré par Alain Salles, Henry de Laguérie et Cédric Rouquette.
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Rubrique : Dos à dosMots-clés : indépendance, catalogne, barcelone, justice, droit, défense, procès, avocats

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