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Le média de la CFJ72 à Barcelone

L’histoire à l’école catalane : l’opinion est dans la leçon

En Catalogne, des pro­fes­seurs d’histoire sont accu­sés par des asso­cia­tions et des his­to­riens « d’endoctriner » leurs élèves. Face à ces cri­tiques, ils se défendent et vantent un modèle basé sur la liber­té d’opinion.

Écrit par Oumar Diawara Enquête de Oumar Diawara et Syrielle Mejias, à Barcelone
Publié le 6 mars 201815 mars 2018
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La son­ne­rie de 8 heures résonne dans l’école “Jesuïtes Casp” de Barcelone. Les élèves de ter­mi­nale se rendent au cours d’Ignacio Peralta. Au pro­gramme : cor­rec­tion d’un exa­men sur l’histoire contem­po­raine de l’Espagne. Dans la salle de classe, la quié­tude règne et s’oppose au bruit des polé­miques sur l’école cata­lane. Des his­to­riens et des asso­cia­tions accusent la Generalitat (les pou­voirs exé­cu­tif et légis­la­tif de Catalogne) et les pro­fes­seurs “d’endoctriner” les étu­diants. Un terme fort, mais assu­mé par toutes les per­sonnes interrogées. 

Les cri­tiques se tournent vers le gou­ver­ne­ment cata­lan pour une rai­son simple : c’est lui qui pilote la poli­tique édu­ca­tive de la région. La loi orga­nique pour l’amélioration de l’éducation du 9 décembre 2013, signée par le roi, déter­mine les pou­voirs du gou­ver­ne­ment cen­tral. Madrid fixe un pro­gramme édu­ca­tif supé­rieur “à 50 % du calen­drier d’en­sei­gne­ment total” et com­mun à toutes les com­mu­nau­tés auto­nomes. C’est l’essentiel de ses com­pé­tences en matière d’éducation. Les pro­fes­seurs d’his­toire char­gés de rédi­ger les manuels sco­laires doivent ensuite trou­ver un équi­libre entre les demandes gou­ver­ne­men­tales et régionales.

Des manuels scolaires nationalistes ?

En jan­vier, il  suf­fit d’une expres­sion, “la cou­ronne catalano-aragonaise”, pré­sente dans un ouvrage, pour allu­mer la mèche. « Parler d’une cou­ronne cata­lane est faux, il n’y en a jamais eu, assène l’historien fran­çais Benoît Pellistrandi. Le mariage du com­té de Barcelone et de la fille du roi d’Aragon au XIIème siècle a don­né nais­sance uni­que­ment à la cou­ronne d’Aragon. Mais cer­tains édi­teurs font preuve d’un manque de rigueur. » Le spé­cia­liste de l’Espagne écarte la thèse de la mal­adresse et y voit une mani­pu­la­tion consciente de l’histoire. « Cette expres­sion laisse pen­ser aux élèves que la Catalogne a déjà été indé­pen­dante », estime-t-il. Devant cet affront, le minis­tère de l’Education d’Aragon, une des dix-sept com­mu­nau­tés auto­nomes d’Espagne, signale l’ouvrage.

Barcelone, 19 février 2018. Francisco Oya consulte un manuel sco­laire. ©Oumar Diawara

Francisco Oya, ensei­gnant dans un collège-lycée à Barcelone, lutte depuis 1994 contre « l’imposition lin­guis­tique et l’endoctrinement idéo­lo­gique » à l’école. Il pré­side une asso­cia­tion, Professeurs pour le bilin­guisme. Dans le bureau de son appar­te­ment, des sacs rem­plis de livres d’histoire traînent sur le sol. « Nous avons étu­dié les sept manuels uti­li­sés en Catalogne : ils mani­pulent tous l’histoire », affirme-t-il, sûr de lui. Il pré­sente un ouvrage rédi­gé par Agusti Alcoberro, vice-président de l’ANC, une asso­cia­tion indé­pen­dantiste. « Tous les livres sont écrits par des sépa­ra­tistes », croit-il savoir. 

Son ana­lyse est en par­tie contre­dite par l’Association natio­nale espa­gnole des edi­teurs de livres et de maté­riel d’enseignement. L’ANELE regroupe 96 % des édi­teurs de manuels sco­laires en Espagne. Selon Antonio Garrido, vice-président de l’association, chaque édi­teur a sa propre vision de l’histoire mais aucun n’a inté­rêt à dévoi­ler ses opi­nions poli­tiques dans un ouvrage. « Si un édi­teur fai­sait un manuel indé­pen­dan­tiste, aucune école ne l’achèterait. Tout sim­ple­ment parce que tous les parents d’élèves ne sont pas pour l’indépendance ». Les sept manuels d’histoire publiés par sec­tion sont donc consi­dé­rés comme rela­ti­ve­ment neutres. Pour preuve,  Antonio Garrido nous cer­ti­fie qu’aucun livre ne fait l’objet d’une attaque en justice.

Les his­to­riens inter­ro­gés expliquent que le dis­cours natio­na­liste pré­sent dans les ouvrages est sub­li­mi­nal. « Certains manuels énu­mèrent les conflits qui ont exis­té entre la Catalogne et l’Espagne pour mieux mon­trer leurs dif­fé­rences », explique l’historien espa­gnol Joaquim Coll. Il parle d’une « his­pa­no­pho­bie sub­tile ». « Si on enseigne le pas­sé, nous avons le droit d’expliquer ce qu’était l’impérialisme espa­gnol », rétorque Ramon Font, porte-parole d’Ustec, pre­mier syn­di­cat de l’Education publique cata­lane. Ce pro­fes­seur d’histoire en col­lège et lycée nous accueille dans ses locaux. Sourire aux lèvres, il nous indique en ouvrant la porte que ces lieux sont payés « sans l’argent de l’Etat ». Selon lui, le dis­cours de l’enseignant durant un cours est bien plus cen­tral que celui d’un manuel écrit par un tiers.

Place de Catalogne, Barcelone, 24 février 2018. Une ban­de­role “Non à l’en­doc­tri­ne­ment dans les col­lèges”. ©Syrielle Mejias

Une histoire d’opinion

En classe, les pro­fes­seurs cata­lans ont pour habi­tude d’exprimer leur point de vue. « Il y a une liber­té de chaire. Un ensei­gnant peut don­ner son avis tant qu’il ne l’impose pas, explique Lluís Font, pré­sident du Conseil sco­laire de Catalogne, admi­nis­tra­tion de la Generalitat. En confron­tant les opi­nions, l’élève acquiert un esprit cri­tique. » Les pro­fes­seurs tiennent à cette tra­di­tion, née selon eux après la période fran­quiste. « Marta Mata, fon­da­trice de Rosa Sensat (une asso­cia­tion de pro­fes­seurs cata­lans), avait pour habi­tude de dire que les enfants doivent savoir que leurs maîtres sont des êtres humains avec des opi­nions poli­tiques et reli­gieuses », raconte Francina Martí, pré­si­dente de cette asso­cia­tion qui forme des ensei­gnants. « Les pro­fes­seurs indé­pen­dan­tistes ne font pas cours quand il y a des mani­fes­ta­tions, indique Laia, étu­diante de 17 ans en ter­mi­nale à Casp. Mais ils nous expliquent que leur opi­nion n’est pas la seule vérité. »

Des asso­cia­tions anti-indépendantistes déclarent pour­tant que les pro­fes­seurs sont choi­sis en fonc­tion de leur orien­ta­tion poli­tique. Selon Convivencia civi­ca cata­la­na, 61 % des ensei­gnants de Catalogne seraient favo­rables à l’indépendance. Cette étude reprend à son compte les résul­tats de baro­mètres d’o­pi­nion publiés  par le Centre d’in­ves­ti­ga­tions socio­lo­giques entre mars 2013 et sep­tembre 2017. L’association s’est appuyée sur les réponses de 700 pro­fes­seurs choi­sis au hasard par le CIS. Ce qui remet en ques­tion la per­ti­nence de ces chiffres. « On disait aus­si que Hillary Clinton serait pré­si­dente », s’a­muse Ramon Font. « Pour deve­nir ensei­gnant, il faut pas­ser un concours », garan­tit Lluís Font, qui met en avant la trans­pa­rence de cette sélection.

Ecole “Jesuïtes Casp”, Barcelone, 26 février 2018. Des élèves de ter­mi­nale assistent à un cours d’his­toire. ©Oumar Diawara

Les cri­tiques s’intensifient depuis le réfé­ren­dum pour l’indépendance du 1ᵉʳ octobre. « Le jour du vote, les pro­fes­seurs ont réagi comme des curés, pas comme des maîtres », ose Joaquim Coll. Son avis n’est pas par­ta­gé par Oriol Jiménez, pro­fes­seur à Casp. En cours, il arbore le ruban jaune en sou­tien aux indé­pen­dan­tistes incar­cé­rés. « J’en ai dis­cu­té avec mes lycéens », assume-t-il. L’homme a éga­le­ment pour habi­tude de débu­ter ses séances par dix minutes de débat sur l’actualité. Ce lun­di matin,  l’en­sei­gnant parle des Rohingyas, mino­ri­té musul­mane per­sé­cu­tée en Birmanie, avec ses élèves. Par la même occa­sion, il les invite à aider les migrants réfu­giés à Barcelone. « À notre âge, on ne peut pas ana­ly­ser tout ce qui se dit dans les médias. C’est impor­tant qu’un prof d’histoire nous aide à com­prendre les infor­ma­tions », estime Laia.

Face à ces polé­miques, les par­tis d’opposition à Carles Puigdemont, Ciudadanos et le Partido popu­lar (PP, Parti popu­laire), ont décla­ré en novembre vou­loir « éli­mi­ner l’endoctrinement poli­tique dans les écoles ». « 80 % des ins­pec­teurs en Catalogne sont sélec­tion­nés par le gou­ver­ne­ment cata­lan, abonde la dépu­tée de Ciudadanos Sonia Sierra. Quand ils partent à la retraite, des per­sonnes de confiance prennent leur place. » Le par­ti de centre-droit envi­sage de pro­po­ser une loi pour créer une haute ins­pec­tion édu­ca­tive, mais « ni les par­tis indé­pen­dan­tistes ni le Parti popu­laire ne la vote­raient ». Lluís Font, pour sa part, a confiance dans l’inspection régio­nale qu’il dit « indé­pen­dante ».

Une refonte impossible de l’école catalane

L’application de l’article 155, qui met sous tutelle la Catalogne et lui retire son auto­no­mie, per­met­trait en théo­rie au par­ti de Mariano Rajoy de reprendre le contrôle de l’école. « Au vu des évé­ne­ments, nous aurons un nou­veau gou­ver­ne­ment cata­lan dans les semaines à venir, explique le vice-président de l’ANELE. Le gou­ver­ne­ment cen­tral n’aura pas le temps de chan­ger le sys­tème édu­ca­tif. » « De toute façon, si on me met entre les mains un manuel éla­bo­ré par le gou­ver­ne­ment de Madrid, je ne l’utiliserai pas », jure Ramon Font. Pour chan­ger le sys­tème, ils vont devoir cou­per beau­coup de têtes. » Le Parti popu­laire n’a que quatre dépu­tés en Catalogne et souffre donc d’un manque de légi­ti­mi­té dans la région. Une refonte du sys­tème ris­que­rait d’être très mal accueillie par les Catalans.

De toute façon, si on me met entre les mains un manuel élaboré par le gouvernement de Madrid, je ne l’utiliserai pas – Ramon Font, professeur d’histoire

Sonia Sierra estime que le par­ti de droite a peur de mettre en lumière les failles d’un accord scel­lé depuis près de trente ans. En 1979, les régions ont pla­cé l’école au cœur des sta­tuts de leur auto­no­mie. « À l’époque, dans un contexte de crimes de l’ETA, le Pays basque a dit au gou­ver­ne­ment : “Donnez-nous l’éducation, on vous donne la paix”. » La Catalogne en a pro­fi­té aus­si, d’après Benoît Pellistrandi. Et ce qui devait être une vic­toire de l’Etat espa­gnol contre le ter­ro­risme se serait trans­for­mé en une vic­toire de l’identité cata­lane, grâce à l’éducation. « Les natio­na­listes se sont empa­rés d’une arme indis­pen­sable à leur sur­vie. L’école a créé des Catalans. » 

À l’école “Jesuïtes Casp”, les étu­diants ne semblent pas concer­nés par cette contro­verse. Durant le cours d’his­toire, ils repro­duisent en riant une cho­ré­gra­phie impro­bable d’Oriol Jiménez, rituel cen­sé rendre cette séance agréable à vivre. Les élèves appellent l’en­sei­gnant par son pré­nom. Son ruban jaune n’attire aucun regard. Le pre­mier camp dira qu’il réus­sit son rôle “d’endoctrineur”. Le second, son tra­vail de professeur.

Travail enca­dré par Alain Salles, Frédéric Traini et Cédric Rouquette.

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Rubrique : MémoiresMots-clés : indépendance, barcelone, histoire, éducation, école, collège, lycée, manuel scolaire

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