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Le média de la CFJ72 à Barcelone

L’éducation en catalan fragilisée par la crise

En Catalogne, depuis 1983, l’enseignement est dis­pen­sé en cata­lan. Mais ce modèle lin­guis­tique, lar­ge­ment accep­té jus­qu’au début de la crise, est aujourd’­hui remis en cause par l’Etat cen­tral qui accuse les écoles de négli­ger l’espagnol.

Écrit par Juliette Poissonnier Enquête de Juliette Poissonnier et Marine Protais, à Mataro, Barcelone et L'Esquirol
Publié le 6 mars 201825 mars 2018
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Assis en cercle, les enfants jouent le jeu. L’institutrice, Neus, charge une petite fille aux che­veux bruns de tenir une pierre dans ses mains. « A quoi res­semble cette pierre ? » demande-t-elle. « Un cor » (« un coeur », en cata­lan), répondent-ils d’abord en choeur. Mais ce matin, Neus donne un cours de cas­tillan, plus cou­ram­ment appe­lé l’espagnol. Elle fronce les sour­cils. Peu à peu, les élèves com­prennent qu’elle attend une réponse en espa­gnol. Un gar­çon agi­té se lève et crie : « Un corazón ! »

L’école mater­nelle de l’Esquirol, le vil­lage le plus indé­pen­dan­tiste de Catalogne, res­pecte rigou­reu­se­ment le modèle sco­laire en vigueur dans tous les éta­blis­se­ments publics cata­lans depuis 1983 : l’immersion lin­guis­tique. L’enseignement est dis­pen­sé en cata­lan, hor­mis deux heures d’espagnol et deux heures d’anglais par semaine. Un modèle de dis­cri­mi­na­tion posi­tive qui, depuis le début de la crise, ne fait plus l’unanimité. Peu à peu, Madrid remet en cause la légi­ti­mi­té de l’immersion lin­guis­tique, jusqu’ici intou­chable dans l’esprit de nom­breux Catalans.

L’Esquirol, 20 février 2018. Chaque semaine, les élèves de mater­nelle apprennent quelques mots d’es­pa­gnol. ©Juliette Poissonnier

« L’espagnol fait partie de notre culture »

« Une école mono­lingue dans un pays bilingue, c’est absurde ! », s’exclame Agustin Fernandez, un habi­tant de Mataro, à 30 kilo­mètres de Barcelone. En 2015, il a pré­sen­té un recours devant le Tribunal supé­rieur de jus­tice de Catalogne pour obte­nir 25 % de cours en espa­gnol dans l’école de ses fils. Il a gagné. Mais deux jours après l’annonce, plus d’un mil­lier de parents se sont ras­sem­blés devant les portes de l’établissement pour pro­tes­ter contre sa demande, dra­peaux cata­lans au vent. « Mon fils de 10 ans est reve­nu de l’école en pleu­rant. Ses cama­rades étaient deve­nus offen­sifs, ils lui disaient “Tu te pousses, ou il faut qu’on te le dise en espa­gnol ?” »

Face à ces réac­tions, Agustin a fini par sco­la­ri­ser ses enfants dans une autre école à 20 kilo­mètres de chez lui, pri­vée, où l’enseignement est dis­pen­sé en cata­lan, en espa­gnol et en anglais. Le prix : 10 000 euros par an et par enfant, et deux heures de tra­jet chaque jour. « Ma famille est en Catalogne depuis trois géné­ra­tions, je n’ai rien contre le cata­lan, assure Agustin. Certes, les enfants apprennent l’espagnol dans la rue, à la télé­vi­sion, mais cela ne suf­fit pas. Ils doivent connaître le voca­bu­laire de l’histoire, des sciences, de la lit­té­ra­ture. L’espagnol fait aus­si par­tie de notre culture. » En 2017, l’association Assemblée pour une école bilingue a enre­gis­tré 100 recours en jus­tice, dont 60 ont abou­ti à une recon­nais­sance des droits des deman­deurs hispanophones.

L’Esquirol, 20 février 2018. À l’en­trée de l’é­cole “El Cabrerès”, une affiche rap­pelle la langue d’en­sei­gne­ment, le cata­lan. ©Juliette Poissonnier
Dans les années 1980, le des­si­na­teur Cesc se dou­tait déjà que l’é­cole en cata­lan serait remise en ques­tion : « Vous pou­vez l’en­le­ver, mais ne la jetez pas à la pou­belle. Peut-être que d’i­ci quelques années, nous en aurons encore besoin. »

Historiquement, l’é­cole cata­lane a long­temps été bilingue. Mais l’ar­ri­vée du géné­ral Franco au pou­voir en Espagne, en 1939, a pro­fon­dé­ment bou­le­ver­sé le sys­tème édu­ca­tif. « Pendant le fran­quisme, il était inter­dit de par­ler en cata­lan sous peine de pri­son », explique Francina Marti, pré­si­dente de l’association de pro­fes­seurs Rosa Sensat. À la chute de la dic­ta­ture, les Catalans, trau­ma­ti­sés, ont fait de l’enseignement en cata­lan leur prio­ri­té. « Notre mis­sion était de récu­pé­rer notre patri­moine. » En 1980, l’élection du natio­na­liste Jordi Pujol à la pré­si­dence de la Generalitat de Catalogne a accé­lé­ré la mise en place du sys­tème d’immersion lin­guis­tique. « Cette loi est née d’un accord social pro­fond entre des gens nés en Catalogne et d’autres venus d’ailleurs, assure Mireia Plana, vice-présidente de Plataforma per la Llengua, une ONG de pro­mo­tion de la langue cata­lane. Face à la puis­sance de l’espagnol, troi­sième langue par­lée au monde, nous devions pro­té­ger le cata­lan en le ren­dant néces­saire. »

Un débat impossible

Les pro-indépendance ont mis l’éducation au cœur de leur pro­jet, « comme le font tous les natio­na­listes », rap­pelle Antonio Santamaria, jour­na­liste et auteur de Nationalisme et langues en Catalogne (1999). « De l’autre côté, le gou­ver­ne­ment espa­gnol les pro­voque régu­liè­re­ment sur ce sujet depuis le début de la crise. » En octobre 2017, Madrid a déclen­ché l’article 155 de la Constitution espa­gnole pour prendre le contrôle de la région auto­nome de Catalogne. Depuis, l’Etat cen­tral tente de trans­for­mer le modèle sco­laire cata­lan. Quelques jours après la prise de contrôle de la région, il a vou­lu impo­ser à la Generalitat de Catalogne un don de 6 000 euros à chaque famille sou­hai­tant ins­crire ses enfants dans des écoles pri­vées en espa­gnol. Mardi 20 février, cette déci­sion a fina­le­ment été inva­li­dée par la Cour consti­tu­tion­nelle. Elle empié­tait sur les com­pé­tences de l’administration autonome.

Les pro­jets de Madrid ne sont pas tou­jours cré­dibles, mais les Catalans en parlent. « Le pro­ces­sus indé­pen­dan­tiste a engen­dré une extrême pola­ri­sa­tion de la socié­té autour de ce thème, ana­lyse Antonio Santamaria. Il n’y a plus aucun débat pos­sible. »

« Le dia­logue est rom­pu à cause des indé­pen­dan­tistes », assure Joaquim Coll, membre de l’or­ga­ni­sa­tion unio­niste Societat civil cata­la­na. S’il admet que l’Etat espa­gnol réagit de manière dis­pro­por­tion­née, cet his­to­rien est convain­cu que les indé­pen­dan­tistes ont été les pre­miers à poli­ti­ser l’im­mer­sion lin­guis­tique. « Depuis le début de la crise, ils uti­lisent le cata­lan pour endoc­tri­ner les enfants. Certains pro­fes­seurs parlent de l’Espagne en termes très néga­tifs et ornent les murs de leurs classes de dra­peaux cata­lans. » Joaquim a deux enfants âgés de 18 et 19 ans. Lorsqu’ils étaient à l’é­cole, l’im­mer­sion en cata­lan ne lui posait aucun pro­blème. « Mes enfants parlent très bien les deux langues. » Désormais, il lutte contre le modèle lin­guis­tique cata­lan pour des rai­sons politiques.

Barcelone, 23 février 2018. Dans la capi­tale cata­lane, de nom­breux parents issus de l’im­mi­gra­tion aime­raient qu’il y ait plus d’es­pa­gnol ensei­gné à l’é­cole. ©Juliette Poissonnier

Un modèle d’égalité

A la sor­tie de l’école “Drassanes”, dans le centre-ville enso­leillé de Barcelone, des parents d’élèves com­mentent l’information du jour. Le ministre espa­gnol de l’Education, Íñigo Méndez de Vig, sou­haite impo­ser, en Catalogne, un for­mu­laire qui lais­se­rait les parents choi­sir leur langue d’enseignement. Pour l’ins­tant, rien d’of­fi­ciel, mais la pro­po­si­tion fait débat. « C’est une très bonne idée », estime Shamim, le père de Malhar, 4 ans. « Je res­pecte le cata­lan mais dans ce contexte de mon­dia­lisation, je veux sur­tout que mon fils parle par­fai­te­ment l’espagnol. » Dharmendra, mère d’Aman, 6 ans, est d’origine indienne. Elle non plus n’a rien contre l’idée du for­mu­laire. « Le cata­lan est une langue trop dif­fi­cile, nous ne com­pre­nons pas Aman lorsqu’il l’utilise à la mai­son », regrette-t-elle dans un anglais parfait.

Barcelone, 23 février 2018. Mansi, Keerat et Aman sont « très contents de par­ler plu­sieurs langues ». ©Juliette Poissonnier

Les défen­seurs du cata­lan, eux, l’ont très mal pris. « Cette idée de for­mu­laire consti­tue une attaque grave contre la démo­cra­tie », assure Francina Marti de l’association Rosa Sensat, qui s’in­quiète du pou­voir de Madrid depuis l’ac­ti­va­tion de l’ar­ticle 155. « Les gens qui cri­tiquent le modèle sco­laire actuel veulent détruire un pays, la Catalogne. » Pour elle, l’utilisation du cata­lan à l’école assure la cohé­sion sociale et l’égalité des chances. « Dans une socié­té, il ne peut pas y avoir des gens qui parlent seule­ment cata­lan d’un côté, et d’autres seule­ment l’espagnol, affirme Mireia Plana. Il est impé­ra­tif que nous puis­sions tous nous com­prendre. » Pour « une immense majo­ri­té de Catalans, et pas seule­ment des indé­pen­dan­tistes », pré­cise Francina Marti, l’immersion lin­guis­tique est un modèle de réus­site. « Tous les jeunes parlent les deux langues et reçoivent ain­si la même oppor­tu­ni­té de trou­ver du tra­vail, de s’intégrer. C’est un modèle d’égalité. »

L’association Rosa Sensat regroupe plus de 1 000 pro­fes­seurs cata­lans. L’été pro­chain, ils dédient un sémi­naire aux accu­sa­tions d’en­doc­tri­ne­ment, « très dou­lou­reuses pour la plu­part d’entre nous », assure Francina Marti d’une voix triste. « L’intention du modèle sco­laire n’est pas de divi­ser mais d’u­nir. Evidemment, nous devons par­ler de poli­tique pour édu­quer à la pen­sée cri­tique. Mais par­ler d’en­doc­tri­ne­ment, c’est nous accu­ser d’être tous de très mau­vais pro­fes­seurs. »

Une richesse à préserver

Pour eux, le bilin­guisme, ou la simple uti­li­sa­tion de l’espagnol à l’école, met­traient en dan­ger l’existence du cata­lan. « De toute façon, les enfants cata­lans sont déjà tous bilingues. Les résul­tats du test de langues PISA le montrent : ils ont le même niveau de cata­lan que d’es­pa­gnol », assure Margarida Paradell, direc­trice de l’école à l’Esquirol. « Nous avons tou­jours été bilingues en Catalogne, rap­pelle Mireia Plana. L’immersion lin­guis­tique est le seul moyen pour nous de pré­ser­ver cette richesse. » 

Dans l’immédiat, la reprise d’un débat apai­sé autour de cette ques­tion brû­lante « néces­site un chan­ge­ment poli­tique », assure Antonio Santamaria. Mais pour Xavier Pamies, tra­duc­teur, le fond du pro­blème réside ailleurs. « Il est qua­si­ment impos­sible pour les Espagnols, ou pour les Français, de com­prendre qu’il est facile et évident pour nous de vivre nor­ma­le­ment avec deux langues. Tant que que les autres ne com­prennent pas, ils ne sai­si­ront pas la per­ti­nence de notre sys­tème éducatif. »

L’Esquirol, 20 février 2018. Les jour­nées des enfants sont ryth­mées par des jeux et des chan­sons en cata­lan, mais aus­si en espa­gnol, en anglais et en fran­çais. ©Juliette Poissonnier

Travail enca­dré par Jean-Baptiste Naudet, Fabien Palem et Cédric Rouquette. 

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Rubrique : Des mots qui comptentMots-clés : indépendance, Crise, catalan, langue, castillan, bilinguisme, éducation, école, espagnol

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